Révélations : Paul Biya et ses secrétaires généraux
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Dans son livre, Jean-Marie Atangana Mebara dévoile.

Décembre 2004. Paul Biya décide de constituer un nouveau gouvernement. Il charge le secrétaire général de la présidence de la République de consulter un homme d’affaires du privé à qui il souhaite confier les hautes et précieuses responsabilités de ministre de l’Economie et des Finances. Dans l’esprit du président de la République certainement, cette consultation est une pure formalité. Qui, au Cameroun, refuserait une telle marque de confiance et d’estime du Prince ? Lorsque Jean-Marie Atangana Mebara, alors Sg/Pr rencontre le concerné, celuici, contre toute attente, décline calmement l’offre présidentielle au motif qu’il ne se sent pas prêt...

Atangana Mebara rend compte de cet échange au président Biya qui est déçu, mais surtout surpris... Cette anecdote est tirée du dernier livre de Jean-Marie Atangana Mebara intitulé « Le secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités », paru il y a quelques jours aux éditions L’Harmattan à Paris. Dans ce deuxième ouvrage - après «Lettres d’ailleurs » paru chez le même éditeur en janvier 2012 - l’auteur, qui a été secrétaire général de la présidence de la République entre août 2002 et septembre 2006, livre un témoignage sur ses années au palais d’Etoudi.

A travers de petites histoires savoureuses, il lève un coin du voile sur un poste ô combien convoité, sans cependant tomber dans le piège de l’anecdotique. Au contraire, il sert une véritable réflexion sur le poste de Sg/Pr au Cameroun. Dans la première partie de l’ouvrage, l’auteur fait une brève histoire du secrétariat général de la présidence de la République et des secrétaires généraux de 1960 jusqu’en 2012. On y découvre l’évolution de cette fonction à travers les différents textes qui l’ont organisée, les hommes qui y ont servi avec leur particularité, sous le président Ahmadou Ahidjo et sous le président Paul Biya. L’auteur nous apprend que le secrétariat général a été réorganisé au moins cinq fois depuis 1960, que 18 personnalités ont tour à tour occupé ce poste.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Jean-Marie Atangana Mebara se sert d’un entretien pour parler de son expérience de Sg/Pr. Ce style choisi par l’auteur, certainement pour l’intelligibilité de son discours se révèle fort judicieux parce qu’il rend son livre agréable à lire et d’accès facile. Cette méthode lui permet aussi d’aborder les questions que le commun des Camerounais se posent, non seulement sur la fameuse fonction de Sg/Pr ou de « vice-Dieu » (comme on l’appelle souvent), mais aussi sur les rapports qu’il peut entretenir avec le chef de l’Etat, le rôle qu’il joue dans la construction des carrières ou la déchéance des personnalités, etc. Le Sg/Pr est l’une des rares personnalités de la République qui a un accès quotidien au chef de l’Etat. Ce qui peut entraîner des incompréhensions avec des collègues membres du gouvernement, quelque jalousie de la part de ceux qui s’y verraient bien. Autant dire que celui qui occupe ce siège est en permanence exposé.

Idées reçues et fantasmes

Au fil des pages, le livre témoignage de Jean-Marie Atangana Mebara vient balayer de nombreuses idées reçues sur le rôle du Sg/Pr. Or, il n’en serait pas ainsi si les uns et les autres tenaient compte de la nature du système politique camerounais qui est présidentialiste. C’est à-dire que le président de la République a la haute main sur les grandes affaires du pays. Dès lors, le Sg/Pr a une influence limitée ou du moins n’en a que celle que son patron veut bien lui confier. Il n’a de toutes les façons pas autant de pouvoir tels qu’on les fantasme dans l’opinion publique, si l’on s’en tient au récit de Jean-Marie Atangana Mebara. Celui-ci raconte par le menu la manière dont sont formés les gouvernements. Paul Biya est seul à décider de qui en sort, qui entre et à quel poste. Le Sg/Pr se chargeant de recevoir certaines personnalités à la demande de son patron pour les consultations d’usage. Il peut faire des propositions de personnalités pour tel ou tel poste, mais c’est Paul Biya qui en définit les profils et tranche en fin de compte.

Une chose se dégage du livre de Jean-Marie Atangana Mebara. C’est que, le poste de secrétaire général de la présidence de la République n’est pas une fonction de tout repos. Titus Edzoa, un ancien affirme d’ailleurs avoir poussé un ouf de soulagement lorsqu’il quitta la présidence pour le ministère de la Santé. Paul Biya met en effet un point d’honneur à rappeler à son collaborateur direct qu’il doit être d’une « disponibilité de tous les instants ». L’auteur rapporte qu’une fois, il s’est rendu comme à son habitude à l’église. Il avait alors éteint le téléphone par lequel le président de la République pouvait le joindre. Lorsqu’il le remet en marche, il voit au moins trois appels manqués de Paul Biya, qui va avoir l’occasion de lui rappeler très fermement ce que signifie une « disponibilité de tous les instants ». « Le président m’a fait comprendre, clairement et fermement que je devais être joint à tout moment par lui, même aux heures d’office religieux, écrit-il. Depuis lors, quand j’allais à la messe, sauf aux cérémonies religieuses officielles, je m’asseyais toujours au fond de l’Eglise ou près d’une porte, afin de pouvoir sortir répondre au téléphone ou, éventuellement m’en aller sans attirer l’attention. Evidemment, depuis lors aussi, le téléphone de communication avec le président restait ouvert à toute heure. »

On découvre à travers les 297 pages de ce livre la manière dont le Cameroun fonctionne à partir de la présidence de la République. A côté du gouvernement et des institutions formels, il y a un gouvernement invisible et des individus sans fonction officielle, mais qui peuvent vous dire quelques semaines, voire des mois à l’avance à quel poste vous serez nommé. Or, l’ultime consigne que donne le président de la République à tous ceux qu’il consulte pour un poste au gouvernement est de ne rien dire à personne. Même pas à votre épouse. Peut-être surtout pas à elle…

Libre derrière les barreaux

« Le secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités » est une remarquable entreprise de démystification et de démythification de la fonction de Sg/Pr sous la plume d’une personne qui l’a occupée. Le témoignage de l’auteur parait sincère, digne, quoiqu’on peut remarquer une certaine pudeur qui le pousse à ne pas aller trop loin dans les révélations. « En effet, prévient- il, après près de huit années de privation de liberté, d’humiliations et d’injustice, mon objectif premier est, à travers ce témoignage, de ne rien dire, de ne rien déclarer qui soit susceptible de créer ou d’aggraver les rancoeurs entre Camerounais.

(…) A ceux qui s’attendaient à une sorte de déballage général et irréfléchi, je voudrais donner à méditer cet adage wolof rappelé par le président Diouf dans ses mémoires parus en 2014 aux éditions du Seuil : "La sagesse recommande de ne pas dire tout ce que l’on sait". » Dans un environnement où les responsables politiques écrivent très peu et où les principaux collaborateurs du chef de l’Etat ou ceux qui l’ont été sont transits de peur rien qu’à l’idée de devoir accorder une interview à un journaliste, l’on est fondé à dire que Jean-Marie Atangana Mebara a fait preuve d’un certain courage lorsqu’il brise l’omerta et raconte son expérience de Sg/Pr. Il se paie même le luxe de consacrer un chapitre entier au Paul Biya qu’il a connu. Il décrit « l’homme Lion » sous les traits d’un « homme mystérieux », « un gros travailleur » ! Croyons-le sur parole.

Ils ont passé près de 4 ans ensemble… Il nous apprend en tout cas que Biya n’est pas le musardeur joueur de Songo, vacancier impénitent si souvent peint. Agé de 62 ans, Jean-Marie Atangana Mebara a été interpellé en août 2008 et incarcéré à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé. Il y purge une peine de 20 ans d’emprisonnement pour détournement de fonds publics. Des faits qu’il a toujours niés. Certaines organisations de défense des droits de l’homme le considèrent comme un prisonnier politique. Avec ce deuxième ouvrage depuis son incarcération, l’ancien ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République refuse de sombrer dans l’oubli. Il se montre libre derrière les barreaux. Il faut peut-être voir derrière cette activité intellectuelle intense et une foi chrétienne affirmée, les secrets de son apparente forme physique, malgré le choc de l’embastillement.

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