Extrait de Jean-Marie Atangana Mebara : Rencontre avec Paul Biya à Genève
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« Le secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités », Paris L’Harmattan, janvier 2016. Pp 130-134

EST-CE TOUT CE QUE VOUS AVEZ RECU COMME INITIATION DE LA PART DU PRESIDENT ?
Non, bien sûr. J’ai eu le privilège de ce que je pourrais appeler une « initiation accélérée » pendant deux jours à Genève en Suisse.

COMMENT CELA ?
Quelques semaines après mon entrée en fonction, le Chef de l’État est parti en voyage privé à Genève. Et y étant, il m’a instruit d’aller l’y retrouver. J’ai donc quitté Yaoundé, deux jours après cette instruction. L’Aide de camp m’avait prévenu que le Chef de l’État avait instruit le Chef d’État Major Particulier de mettre à ma disposition l’avion présidentiel, le G 11.

VOUS ARRIVEZ DONC GENEVE…?
J’ai été accueilli par une équipe de fonctionnaires de notre ambassade sur place, conduite par le Chargé d’Affaires et par des éléments de la sécurité présidentielle, qui travaillent généralement avec l’Aide de Camp. Ils ont effectué toutes les formalités de police et de douanes et puis nous sommes partis pour l’Hôtel Intercontinental. J’ai été installé dans une suite junior, trois ou quatre étages en dessous des appartements présidentiels. Tout de suite après mon installation, j’ai reçu un appel de l’Aide de camp, le Capitaine de vaisseau Joseph FOUDA, que tout le monde, y compris le Chef de l’État, appelait Colonel. Il m’a souhaité la bienvenue et m’a indiqué que le Chef de l’État me recevra le lendemain matin. Et de fait, aux alentours de 10h30, l’Aide de Camp m’a appelé pour me demander de monter.

ET ALORS ?
Je suis donc monté à l’étage des appartements du Président. J’ai attendu quelques minutes dans une pièce, puis l’Aide de camp m’a accompagné et introduit dans le salon des appartements présidentiels. J’ai trouvé le Président debout, m’attendant. Il m’a tendu une main que j’ai trouvée chaleureuse, tout en m’invitant à prendre place dans un des fauteuils à côté du canapé qu’il occupait.

EN QUOI A-T-ELLE CONSISTE ?
Pour l’essentiel, le Président m’a parlé des hommes ; il m’a posé des questions sur ma connaissance de mes deux adjoints, et sur chacun, il m’a donné des « conseils » sur la manière de le gérer pour en obtenir le meilleur. Il m’a aussi parlé des relations avec le gouvernement, en relevant qu’il avait noté, quand j’étais au Ministère de l’Enseignement Supérieur, que j’avais bien compris la nature présidentiel du régime. Il m’a notamment indiqué que mes bonnes relations avec le Premier Ministre MUSONGE Peter me seraient utiles dans la gestion des relations entre la Présidence et le gouvernement. Il s’est attardé sur les problèmes qui semblaient le préoccuper.
Il y a eu notamment :

  • la situation économique du pays, sous programme d’ajustement avec les institutions de Bretton-Woods ;
  • ensuite le dossier de Bakassi dont la Cour Internationale de La Haye avait été saisie ;
  • les lourdeurs et lenteurs de la machine administrative, en soulignant au passage qu’il comptait sur mon expérience à l’Institut de management pour introduire plus d’efficacité.

Enfin le Président est revenu sur les hommes dans l’appareil étatique, pour notamment attirer mon attention sur certains individus qu’il me déconseillait de fréquenter, parce que selon lui, ils « sont dangereux ». Je dois avouer qu’à l’époque je ne comprenais pas que ces mêmes personnalités, jugées dangereuses, soient maintenues à des fonctions importantes de l’État.

VOUS L’AVEZ COMPRIS PLUS TARD ?
J’ai surtout retenu qu’il me conseillait d’être très vigilant avec ces personnes, à ne pas me laisser embobiner par leurs simagrées, leurs sourires et leurs gestes de gentillesse de façade. J’ai compris plus tard que lui le Président était le seul qui pouvait gérer ces personnes parce qu’il les connaissait de longue date.

POUVEZ-VOUS NOUS DONNER QUELQUES NOMS ?
D’abord je dois préciser que ces personnes dont le Président m’a parlé n’étaient pas plus de deux. Ensuite vous comprenez que je ne puisse pas donner de noms. Je puis seulement vous révéler que dans l’exercice de mes fonctions, j’ai découvert, à mes dépens, la dangerosité de l’une de ces personnes.  

QU’EST-CE QUI VOUS A FRAPPE EN ECOUTANT LE PRESIDENT ?
J’étais surtout frappé par sa connaissance et sa mémoire des dossiers et des hommes. Vous savez, on ne s’attend pas toujours à voir un Chef de l’État parler des dossiers sans document. Et puis, je l’ai trouvé à la fois pédagogue et comme désireux de me donner, rapidement, tous les outils nécessaires au plein accomplissement de ma mission. À certains moments de ces échanges, en l’observant bien dans cette tenue simple qu’il arborait, je lui ai même trouvé des élans paternels. Il m’a appris qu’il tenait un carnet secret dans lequel il relevait les noms des hauts fonctionnaires qui lui étaient signalés de manière particulièrement positive ; et il m’a recommandé d’en faire autant. Pendant tout le temps qu’a duré l’entretien (si je peux ainsi qualifier cette véritable leçon), il n’a pas ouvert un seul document ; moi j’ai pris des notes, beaucoup de notes.

ET COMBIEN DE TEMPS A DURE CETTE « LEÇON » ?
Un peu plus de deux heures. Nous avons eu une brève interruption avec l’entrée dans la pièce de son épouse.

AH BON ?
Naturellement à son entrée je me suis levé, prêt à sortir pour les laisser seuls. Après avoir demandé à son épouse, « Tu connais mon Secrétaire Général ? », et qu’elle m’ait tendu la main en répondant « Bien sûr », le Président m’a demandé de m’asseoir. Ils ont échangé quelques mots et puis Madame s’est retirée.  

QUE SE SONT-ILS DIT ?
Rien qui entre dans la formation d’un Secrétaire général de la Présidence ! Vous comprenez que je ne me sente pas autorisé à rapporter des propos échangés entre le Président de la République et son épouse en ma présence.

ET COMMENT S’EST POURSUIVI OU TERMINE CE PREMIER ENTRETIEN ?
Le Président m’a demandé si j’avais des dossiers urgents à lui présenter. De fait j’avais un projet de Circulaire sur le Travail gouvernemental que je devais soumettre à sa lecture et sa signature éventuelle. Il m’a demandé de le lui laisser. Et puis il m’a recommandé d’aller découvrir la ville de Genève. Il s’est levé et m’a donné rendez-vous le lendemain.

ET VOUS ETES ALLE VISITER LA VILLE GENEVE ?
Pas vraiment. Je devais d’abord mettre de l’ordre dans les notes que j’avais prises. Ensuite quelques trente (30) minutes après notre séparation le Président m’a appelé au téléphone, pour un entretien qui a encore duré près de dix (10) minutes. Je me suis félicité de ne pas être allé découvrir Genève. Mais je peux dire a posteriori que l’apprentissage est permanent. À l’occasion des audiences que le Président accorde quasiquotidiennement au Secrétaire général, lors des échanges téléphoniques, le Chef de l’État forme toujours son principal collaborateur. Ainsi, un jour, plusieurs jours après ma prise de fonction, au cours d’un entretien téléphonique, au cours duquel le Président me donne des instructions sur des dossiers, je réponds systématiquement « OKAY ». Au moment de mettre fin à l’entretien, le Chef de l’État me dit : « Monsieur le Ministre d’État, vous savez que OKAY n'est pas très administratif ! ». J’ai répondu : « Bien noté Monsieur le Président ». Je ne me le ferai pas dire deux fois. À partir de ce jour-là, j’ai appris que je devais répondre « oui, ou alors, bien Monsieur le Président de la République».

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