La guerre d’indépendance au Cameroun en 1960 et la question des têtes coupées
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La guerre d’indépendance au Cameroun en 1960 et la question des têtes coupées :: CAMEROON

L’une des méthodes de terreur auxquelles a eu recours le colonialisme français au Cameroun, puis le gouvernement de notre pays à partir de 1960, a été l’exposition de têtes coupées sur les places publiques : marchés, gares routières, devantures de sous-préfectures, etc.

C’était un spectacle terrifiant que de découvrir ces têtes d’hommes posées sur des sacs de café vides. Lorsqu’elles avaient les yeux ouverts, elles donnaient l’impression que le reste du corps était enfoncé sous terre. Mais, le sang séché qui généralement les coloriait, rappelait rapidement qu’il n’en était rien. Les militaires débordant d’imagination, avaient rajouté une variante à cette exposition de leurs macabres trophées humains. Dans certains cas, ils enfonçaient les têtes sur des piquets d’un mètre-cinquante environ, ce qui rendait le spectacle encore plus horrible et plus terrifiant. Cela donnait l’image d’un être sans corps, ou plutôt, dont le corps est simplement un bâton planté au sol. Des gens s’évanouissaient en découvrant cela. Les militaires, français d’abord, jusqu’en 1959, puis français et camerounais, et enfin uniquement camerounais après 1965, date du départ des troupes françaises de notre pays, se faisaient également un malin plaisir de placer des mégots de cigarettes allumées sur les lèvres des têtes. On avait ainsi une tête surmontant un piquet, et en train de fumer. Tout le monde était en larmes à la vue de ces abominations … sauf les militaires. Eux, ils rigolaient. Ils se prenaient même en photos.

L’origine des têtes coupées au Cameroun.

Couper les têtes des ennemis et les exposer au public, remonte à la colonisation française. Ni les Allemands, ni les Britanniques ne l’ont fait au Cameroun.

Ils ont utilisé d’autres méthodes, notamment la pendaison et le poteau d’exécution pour les Allemands. Rudolph Douala Manga Bell, Ngosso Din, Madola et Edangté Mbita, ont été pendus, pendant que Samba Martin Paul a été fusillé.

Les Français qui le faisaient à travers le continent africain tout au long du 19ème siècle, ont introduit cette méthode au Cameroun après avoir tué Rabah aux abords du Lac Tchad le 22 avril 1900, ils lui ont coupé la tête, et se sont mis à se promener avec en la montrant à la population, afin d’obtenir sa reddition (voir image). 

Lorsqu’au début du mois d’août 1914, ils attaquent le Kamerun à partir du Tchad et du Gabon, pendant que les Britanniques quant à eux le font à partir du Nigeria, ils recommencent à couper les têtes des chefs camerounais qui leur résistent en défendant tout naturellement leur patrie face à cette agression extérieure.

Ceux-ci ont été les premiers camerounais à voir leurs têtes tranchées et, pareillement, exposées à la population. Cela s’est produit dans le Nord du pays, où la bataille a pris fin le jeudi 20 février 1916.

Toutefois, les Français ont épargné les têtes des officiers allemands vaincus. Ils ne leur ont pas réservé ce sort. 

Après 1916, il y a eu accalmie. Les Français ont cessé de couper les têtes des Camerounais, puisqu’il n’y avait plus de guerre. Ils ont recommencé leur macabre besogne en 1957, aussitôt la guerre d’indépendance déclenchée par la toute première armée camerounaise, celle de l’UPC, le 18 décembre 1956.

Ils ont continué à le faire jusqu’à leur départ, sur le plan militaire, en 1965. Puis l’armée camerounaise a poursuivi ce macabre et ignoble comportement.  

Le double rôle des têtes coupées.

Les têtes coupées remplissaient un double rôle. D’abord, elles étaient destinées à effrayer la population, à annihiler en elle tout désir de résistance, d’abord au colonialisme français, ensuite au régime Ahidjo. Le moins que l’on puisse dire, est que, elles ont très largement rempli leur rôle. Elles ont détourné des milliers de Camerounais de la résistance armée. Elles ont de ce fait considérablement asséché les recrutements, d’abord dans le Comité National d’Organisation, CNO, la première armée de libération du pays créée par l’UPC le 2 décembre 1956, puis dans l’Armée de Libération Nationale Kamerunaise, ALNK, créée le 31 mars 1959. 

Ensuite, elles servaient de preuves irréfutables aux soldats qu’ils avaient effectivement tué des guérilleros de l’UPC, appelés « maquisards ». Bien mieux, plus un soldat ramenait des têtes du combat, plus il était félicité par ses supérieurs. Il arrivait de ce fait à des soldats camerounais de ramener de la brousse jusqu’à parfois trente têtes, qu’ils transportaient dans des sacs de café vides. Tous les premiers généraux camerounais ont fait cette sale besogne, quand ils étaient encore des sous-officiers et des officiers subalternes. A titre de rappel, c’est un jeune lieutenant du nom de Yakana, fraîchement diplômé de l’Ecole Militaire Inter Armes de Yaoundé, EMIAC, qui a dirigé le peloton d’exécution de Tankeu Noé à Douala, chef de l’ALNK dans la région. Il a fini sa carrière, en guise de récompense pour avoir bien servi militairement le régime Ahidjo, général de l’armée camerounaise et commandant de l’armée de l’air. La plupart de ses collègues de tuerie de leurs compatriotes et qui coupaient des t^tes comme lui, sont encore en vie, et ont tous fini leurs carrière avec au moins le grade colonel de l’armée camerounaise. 

Lorsqu’un télégramme de la sous-préfecture de Mouloundou dans la région de l’Est a annoncé à Ahmadou Ahidjo la mort d’Osendé Afana, il a demandé que sa tête lui soit présentée en guise de véracité de cette information. Un hélicoptère a été aussitôt dépêché à Mouloudou pour ramener ce trophée de guerre à Ahidjo. Un conseil des ministres spécial a été organisé à cet effet à l’ancien palais. Seul Ateba Victor, ministre Eton, s’est excusé auprès d’Ahidjo de ne pouvoir assister à cette cérémonie macabre. Tous les autres ministres y ont pris part, sans exception. La tête d’Osendé Afana, premier docteur en économie de toute l’histoire du Cameroun, a été apportée recouverte d’un tissu blanc sur un plateau, puis posée au milieu de la table. Le tissu a été ôté, et les camarades d’Osendé au Lycée Leclerc ou à Toulouse, et tous ceux qui le connaissaient et qui étaient présents dans la salle ont confirmé qu’il s’agissait bien de lui. 

Les têtes coupées par les « maquisards », autrement dit,les combattants de l’ALNK.

L’Armée de Libération Nationale Kamerunais, ALNK, de son côté, s’est mise à couper des têtes en retour, pour montrer aux colons français combien cela était douloureux. Ses soldats ont ainsi décapité de très nombreux Blancs, au plus grand dam d’Ahidjo, et, naturellement, de l’ambassadeur de France. Cela a également été très payant. Les soldats français ont commencé à refuser d’aller à l’affrontement avec ceux de l’ALNK. Le sommet de la peur de ces soldats, a été atteint lorsque le « Château dynamique », un grand combattant de l’ALNK a tué un sergent français du nom de Vivarès. Plus aucun Français n’a encore accepté de mettre les pieds en brousse, laissant cette tache aux jeunes diplômés camerounais de l’EMIAC. Ils n’ont même pas eu le courage d’aller récupérer le corps de leur collègue en train de pourrir en brousse. Ce sont les militaires camerounais, sur ordre du gouvernement et à la suite de la colère de l’Ambassadeur de France, qui sont allés le récupérer en état de putréfaction déjà avancée. Les soldats de l’ALNK décapitaient également des prêtres. Ils les accusaient de les dénoncer au régime. Ils étaient ainsi impitoyables envers tout prêtre identifié comme un agent du régime. Le fameux Père Jean Courtecuisse de la congrégation du St. Esprit, accusé « d’intelligence avec l’ennemi », a été ainsi abattu à coup de machette dans la ville de Ngambé, par des guérilleros de l’UPC, au mois d’août 1960. Toutefois, ils ne lui ont pas coupé la tête. Il faut rappeler que de nombreux prêtres français qui exerçaient leur ministère au Cameroun, étaient des militaires, dont certains provenaient directement des combats de la guerre de 1939-1945. Ils n’étaient donc pas si « Hommes de Dieu » qu’ils le prétendaient.    

Les têtes coupées aujourd’hui.

La pratique des têtes coupées n’a nullement disparu de nos jours. Elle s’est simplement transformée. C’est ainsi que régulièrement les télévisions camerounaises nous présentent des bandits, ou en tout cas des personnes déclarées tels, comme trophées de la gendarmerie ou de la police. A côté d’eux, deux ou trois malheureux fusils, parfois un sac de riz, une bouteille de gaz, etc. Lorsque j’ai été présenté à la télévision camerounaise en bandit sur ordre de Mebe Ngo’o, il y avait à côté de moi, un petit fusil militaire prélevé dans le stock de la légion de gendarmerie de Bertoua, un pistolet également de ce stock, des cartouches de fusil, et enfin, un uniforme militaire. Comme les téléspectateurs, c’était la toute première fois que je découvrais ce matériel que j’étais accusé d’avoir acheté. Les années passent, mais les méthodes demeurent. C’est cela la continuité des méthodes coloniales au Cameroun. C’est ça un régime néocolonial. Humilier l’adversaire au plus haut point, comme le faisaient les colons. Mon péché : être Bulu et un esprit libre. Cela est intolérable…

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