Lutte contre l’insécurité : Bafoussam, ville morte en nocturne
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Dès la tombée de la nuit, la ville s’endort. Les espaces commerciaux sont fermés. C’est la conséquence d’une note préfectorale interdisant la circulation des motos et des taxis.

Réunis autour d’une table dans un grand bar de la ville de Bafoussam, un groupe d’hommes consomme de la bière. Une vraie passion pour eux. Chacun veut s’illustrer comme un bon disciple de Bacchus. Entre deux bouteilles, les débats sur d’actualité et des sujets divers sont évoqués. Soudain, tous s’observent avec des oeillades, le regard interrogateur. Les regards qu’ils promènent dans la salle sur leur inquiétude en disent long. « Il est temps de partir », lance l’un d’eux. Une phrase qui tombe comme une invite collective. Un peu à regret, ces amoureux de la bière et de la bonne ambiance quittent les lieux. « Il est à peine 22h, mais nous devons partir », réitère avec autorité un des membres du groupe à un autre qui hésite à se lever, un peu embrumé par l’alcool. « A moins que tu décides de rester ici jusqu’à demain matin », termine un troisième.

Une phrase qui a le don de dessaouler légèrement celui qui paraissait dans un état inconscient. Il se lève d’un coup et, au petit trot, quitte la salle. C’est presque avec la même spontanéité que le bar se vide. Chacun y va avec rapidité, comme pour rattraper les instants perdus à l’intérieur. Une fois à l’extérieur, ces consommateurs doivent négocier au prix fort avec les quelques moto-taximen qui attendent. Au-delà de 22h, la distance qui coûtait 250 F.Cfa est payée deux fois plus chère. Lorsque les clients veulent négocier ou décrier ces tarifs, les taximen et les moto-taximen expliquent cela ne vaut même pas le risque auquel ils s’exposent à ces heures interdites. Tout ce chamboulement est parti d’une note signée le lundi 8 août 2015 par le préfet de la Mifi. Joseph Tangwa Fover a interdit la circulation des mototaxi de minuit à 5h. Au lendemain de cette instruction, entre le dimanche 9 août et le mardi 11 août 2015, près de 541 personnes ont été arrêtées et conduites dans les commissariats de la capitale régionale de l’Ouest.

Les forces du maintien de l’ordre avaient multiplié des rafles. Sur instruction du préfet, les forces policiers et les gendarmes sont visibles dès 23h, dans les grands carrefours de la ville. Ils vérifient les pièces d’identité de ceux qui, à leurs yeux, paraissent suspects, selon un chef de la police locale. Cependant, leur principale mission est de stopper et de conduire à la fourrière  toutes les mototaxis et les taxis dont les chauffeurs transgressent la décision préfectorale. Une action qui a contribué à décourager les conducteurs les plus têtus. C’est le cas de Beauvillier Ngassa qui a déjà été pris à deux reprises. « La première fois, ils m’ont arrêté au carrefour évêché. J’avais un client. Ils m’ont pris vers 23h 30 et m’ont conduit au commissariat. J’ai dû dépenser 25.000 F.Cfa pour négocier avant de  sortir ma moto de la fourrière.

La seconde fois, je n’ai pas laissé qu’on arrive à la fourrière. J’ai directement négocié et je suis rentré garer ma moto à la maison. Depuis, je n’ose plus porter un client dès qu’il est 23h. Je rentre vite et je gare ma moto pour éviter les problèmes ». Une précaution prise par les autres moto-taximen et taximen. Ceux qui préféraient aller à Bandjoun, à moins de 10 minutes de Bafoussam, pour poursuivre l’ambiance, ont été stoppés net dans leurs ambitions.  Depuis deux semaines déjà, un arrêté signé par Antoinette Zongo, préfet du Koung- Khi, interdit la circulation des  mototaxis et l’ouverture des débits de boissons et autres lieux d’ambiance au-delà de 22h dans la ville de Bandjoun.

Ce qui restreint l’espace des amoureux de l’ambiance nocturne,  qui doivent jongler avec moult stratagèmes pour trouver un espace ouvert afin d’assouvir leur désir de faire la fête. C’est ainsi que certains barmen, propriétaires  des snacks et des boites de nuit s’empressent de laisser partir ceux qui veulent rentrer dès 23h pour refermer à l’intérieur  de la salle ceux qui sont décidés à rester dans leur milieu jusqu’à l’aube. Pour éviter les tiraillades avec certains clients qui ne veulent pas cautionner les fermetures « précoces » avant minuit, les patrons des lieux d’ambiance s’empressent d’afficher des écriteaux où les heures d’ouverture et de fermeture y sont affichées. Rarement, on va au-delà de minuit.

Prudence

De peur de manquer de moyens de transport pour regagner leurs domiciles, les noctambules s’emploient à rentrer plus tôt. Ce qui dépeuple les lieux d’ambiance. Le Carrefour Auberge et la grande rue d’Akwa comptaient jusqu’ici parmi les principaux coins chauds de Bafoussam. Désormais, on est surpris de constater que plusieurs bars, snacks, bistrots et même des boîtes de nuit sont fermés après 23h. Les décibels qui tonnaient très fort, baissent progressivement dans ces lieux d’ambiance et de plaisir ». « Nous ne pouvons pas garder le bar ouvert quand il n’y a pas de clients. Avant, on était sûrs qu’au moins les week ends, il y aurait de l’affluence en permanence et à toute heure. Maintenant, dès 23h, beaucoup de nos clients rentrent et le coin devient mort », explique Boniface, un barman.

Propriétaire d’une boîte de nuit, Foka Minou a changé les habitudes de son espace d’ambiance pour s’arrimer aux disponibilités de sa clientèle. « Avant, c’est vers 22h que les gens commençaient à affluer en boite de nuit. Depuis un mois, ceux qui viennent y danser vers 22h sont plutôt en train de partir. Ils entrent en boîte dès 19h. Ce qui nous oblige à être là à temps. Souvent vers 23h, nous constatons que les couples qui ne sont pas sortis, vont rester en place jusqu’au lendemain. C’est un grand manque à gagner pour les affaires », s’inquiète Foka Minou, propriétaire d’un grand bar équipé de salles de jeux et autres coins de plaisir. Pour les retardataires qui hésitent à rentrer plus tôt, ils s’arrangent pour avoir un moyen de  locomotion. Edwige Sungué, une férue de l’ambiance, explique sa stratégie. « J’aime bien m’amuser. Mais depuis que les motos et les taxis ne circulent plus après 23h, j’évite de sortir, sauf si je suis avec quelqu’un qui est véhiculé et qui m’assure qu’il va me laisser chez moi ».

Jardis Signé et ses amis ont une stratégie similaire. « Maintenant, nous sortons en groupe, en veillant qu’il y ait parmi nous suffisamment de personnes possédant un véhicule. Ceux qui vont conduire consomment l’alcool avec modération. C’est ainsi que nous varions. S’il n’y a personne disposée à conduire les autres, soit nous évitions de sortir, soit nous sortons en prenant garde de rentrer tôt ». Bryan Fopoussi a une autre astuce : « Même si je sors et que je vais durer, je rentre vite et je continue de boire juste au bar qui est le plus proche de ma maison. Comme ça, je peux rentrer à pieds quelle que soit l’heure ». D’autres noctambules usent des stratagèmes différents. L’essentiel étant de trouver un moyen pour rentrer chez soi, ou se résoudre à passer toute la nuit dehors, pour ne repartir qu’au petit matin, après 5h.

Insécurité

Si les affaires ne marchent pas pour les espaces marchands de nuit, ce sont les brigands qui ont plus d’espace pour opérer en nocturne sur les quelques victimes qu’ils trouvent sur leur chemin. Ne trouvant pas facilement les moyens de transport pour regagner leurs domiciles en nocturne, les citoyens qui optent pour la marche à pieds deviennent la cible facile des agresseurs. « Les plaintes pour des cas d’agression physique avérée sur des individus se sont multipliées ce mois de septembre par rapport au mois dernier dans les différents commissariats de Bafoussam », reconnaît l’un des substituts du procureur de la République de Bafoussam.

Il ne fait pas bon de circuler en nocturne à Bafoussam ces derniers temps. Maurice Ntinkam est la dernière victime en date. Ce chef d’une famille de cinq enfants a été tué vers 22h dans la nuit du jeudi 8 au vendredi 9 octobre 2015 au lieudit « Boulevard évêché ». Les bandits qui l’ont agressé, lui ont tiré une balle dans la cuisse et l’ont dépossédé de tout ce qu’il avait sur lui. Il ne se passe plus une nuit sans que des cas d’agression ne soient signalés entre minuit et 5h dans la ville. Pourtant, les groupes de flics patrouillent un peu partout dans les grands carrefours. C’est surtout pour repérer ceux qui transgressent l’interdiction préfectorale : empêcher les véhicules de transport en commun de circuler entre minuit et 5h du matin.

La mesure avait été prise dans le but d’empêcher les proches de la secte islamiste Boko Haram de s’introduire dans le département au moment où il y a le moins d’attention, et de personnes éveillées pour signaler la présence d’étrangers suspects, a toujours clamé le préfet Joseph Tangwa Fover. En attendant une quelconque évolution, les opérateurs économiques, qui faisaient habituellement les bonnes affaires la nuit, ne trinquent plus.

© Le Jour : Honoré Feukouo

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