Le Cameroun face aux kamikazes de Boko Haram
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Le Cameroun face aux kamikazes de Boko Haram :: CAMEROON

Le Cameroun a subi une vague de treize attentats suicide au cours des trois derniers mois dans des localités le long de la frontière avec le Nigeria. Une région sous tension depuis 2013, dans laquelle s'est rendu l'envoyé spécial de RFI. Les combattants du groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest (connus sous le nom de Boko Haram) y ont attaqué les postes avancés de l’armée, organisé des embuscades et posé des bombes artisanales. Mis en échec par l’armée nigériane dans l’Etat de Borno, ils privilégient désormais les actions de types asymétriques, que s’efforcent d’affronter les forces de sécurité avec l’aide des comités de vigilance.

C’est une région du Cameroun où l’arrivée de deux jeunes filles inconnues et d’un âne dans un village suffit pour semer la panique et déclencher, en urgence, une patrouille. Les hommes sous les ordres de l’adjudant-chef Marcel Amougou ont traqué les jeunes filles dans la soirée aux abords de Gouzoudou à quatre kilomètres de Mora. Les recherches ont repris le lendemain dès quatre heures du matin.

« Le marché de Gouzoudou est fermé en raison des risques d’attentat, mais il y avait un petit marché dans une bourgade voisine, et c’était sûrement leur cible », explique le sous-officier. Les deux jeunes filles seront finalement repérées en milieu de matinée. « Nous étions à cent cinquante mètres, de l’autre côté du cours d’eau, mais l’âne dont nous avaient parlé les villageois avait disparu, donc je n’étais pas sûr que c’était les suspects que nous recherchions », ajoute l’adjudant, père de quatre enfants, dont une adolescente à peine plus âgée que les deux jeunes filles.

« Rien n’indiquait qu’elles étaient kamikazes, elles avaient des seaux sur la tête comme si elles revenaient des champs, et c’était au moment de la récolte du mil et du sorgo, donc il y avait beaucoup de monde », précise le sous-officier, qui ne s’attendait sans doute pas à devoir un jour mettre en joue des adolescentes lorsqu’il a effectué sa préparation militaire il y a trente ans. Les deux jeunes filles se trouvaient dans un champ de mil.

« J’ai crié halte, halte ! Elles se sont retournées, ont vu que nous étions militaires, et tout de suite, il y a eu un gros boum. La première a déclenché la charge d’explosifs dans son seau, et quelques secondes plus tard l’autre a déclenché la sienne à son tour ». Une jeune fille a perdu sa tête et ses deux bras, le corps de l’autre kamikaze était complètement déchiqueté, les soldats ont ramassé les dents et les cheveux épars. « J’ai vingt-huit ans de service, c’est l’événement le plus marquant de ma carrière », a reconnu le sous-officier au visage rond.

Les kamikazes, plan B d’un Boko Haram affaibli

Au cours des trois derniers mois, la région de l’extrême-nord du Cameroun a été secouée par cinq double attentats-suicide et un triple attentat à Maroua, pour un bilan de 100 morts, 250 blessés. L’offensive menée depuis le mois de mars par l’armée nigériane dans les Etats de Borno et de l’Adamawa a affaibli les Boko Haram.

Il y a un an, la nébuleuse contrôlait l’équivalent de 22 districts administratifs au Nigeria, des territoires où vivaient près de dix millions de personnes, selon une estimation du Bataillon d’intervention rapide, l’unité d’élite du Cameroun largement déployée dans la région. L’armée régulière a repris du terrain aux insurgés. En septembre, elle a chassé les combattants islamistes de Gambaru et Banki, deux villes à la frontière du Cameroun que les insurgés occupaient depuis environ un an.

« Cette perte de terrain de Boko Haram au Nigeria représente une menace pour le Cameroun. D’attaques frontales de grande envergure, Boko Haram est passé aux actes terroristes. Lorsque quelqu’un est affaibli, il passe à d’autres méthodes susceptibles de lui permettre d’avoir un ascendant moral », décrypte Jacob Odi, commandant de la quatrième région inter-armée. Les combattants de Boko Haram, mis en déroute au Nigeria, choisissent en effet de se disloquer en petits groupes pour traverser clandestinement la frontière avec le Cameroun. Les autorités militaires ont identifié huit couloirs d’infiltration, soit au niveau des plaines, soit à travers les monts Mandara, qui s’étendent sur 100 kilomètres le long de la frontière.

Attentats-suicide : des préparatifs élaborés

Les kamikazes empruntent un itinéraire aux multiples étapes et passent entre les mains de plusieurs passeurs. Les forces de sécurité sont parvenues à interpeller plusieurs kamikazes avant qu’ils ne passent à l’acte, dont deux jeunes filles interceptées dans la commune de Makalongay le 29 juillet. Le BIR assure que les renseignements, recueillis notamment lors d’interrogatoires, ont permis de reconstituer l’itinéraire aux multiples étapes des deux jeunes filles, à partir de la forêt de Sambisa, le QG des insurgés au Nigeria.

Un premier passeur les a prises à Sambisa et elles ont emprunté des sentiers et des pistes qui longent la forêt vers le Nord. Il les a conduites vers un deuxième passeur qui les attendait le long de la frontière, et les a confiées à un autre qui, lui, les a acheminées sur le lieu où les planificateurs avaient décidé d’un attentat. « C’est une importante chaîne logistique, un travail en amont avec plusieurs équipes », a expliqué un officier du BIR à Maroua lors d’une présentation devant des journalistes camerounais.

Les bombes utilisées font appel à des connaissances d’artificiers. Les études balistiques sur différents sites d’attentats, et l’examen des bombes confisquées lors d’attentats déjoués, font état d’un recours de plus en plus fréquent aux bombes à fragmentations, dont disposent encore certaines armées de l’air. « Il faut avoir des connaissances assez pointues pour savoir quelle excitation donner à cette bombe pour qu’elle puisse exploser. Il faut un bon circuit électrique, un bon interrupteur pour faire détonner les sous-munitions qui elles aussi ont dû être préalablement trafiquées », explique un officier du BIR.

Le rôle des comités populaires

La recrudescence des attentats meurtriers a conduit la population civile à collaborer de façon plus étroite avec les forces de sécurité. Fin juillet, quelques jours après le triple attentat-suicide de Maroua, un moto-taxi a ainsi élaboré un scénario astucieux pour permettre à la police de cueillir trois kamikazes. « Trois hommes, tous étrangers, lui ont proposé une forte somme, 5 000 francs CFA, pour une course sur une toute petite distance, ce qui a éveillé ses soupçons », explique le capitaine Ndongo à la gendarmerie de Maroua.

« Il leur a dit qu’il était interdit de prendre trois personnes à la fois sur sa moto, et a donc proposé de transporter un premier homme, mais en chemin il a eu le temps d’avertir la gendarmerie. Il a donc conduit son passager aux abords du poste, a simulé une chute, et les gendarmes ont interpellé son passager, un homme maigre, presque indigent et visiblement sous psychotropes, qui a supplié plusieurs fois les gendarmes de l’achever pour qu’il puisse rejoindre Allah ».

Quatre-vingts pour cent des arrestations liées à la lutte contre les insurgés ont été effectuées grâce au renseignement fourni par des comités de vigilance, avancent les autorités locales. Malgré ces résultats, ces comités lancés sous la houlette du chef de l’Etat, ne font pas l’unanimité. A la gendarmerie de Maroua, deux hommes menottés l’un à l’autre sont assis en tailleur à même le sol. A quelques mètres, six gros bidons jaunes de fuel sont alignés juste devant le bureau du capitaine Ndongo. « Ce sont des ravitailleurs de Boko Haram, ils savent très bien avec qui ils dealent », assure le capitaine. Il est alerté lorsqu’un villageois écoule un volume suspect de fuel, d’eau ou de riz, et garantit que des enquêtes sont ensuite menées dans le respect de la procédure.

Le mandat de ces comités, qui comportent tous un chef, est vaporeux. Seyni Nérima Shétima, un gendarme retraité, est membre du comité de vigilance de Kolofata formé il y a tout juste un mois pour aider les soldats. Il estime être habilité à se mesurer directement aux hommes de Boko Haram, et attend des autorités qu’elles lui procurent plus d’armes. « Lorsque les soldats sortent en patrouille, ils viennent nous voir et nous leur détachons trois ou cinq hommes, devant, pour les guider. Nous leur disons, dans tel village, il y a tel nombre d’infiltrés, parce que nous connaissons très bien notre population ici. Et nous sommes prêts à passer à l’action. Nous avons nos flèches, nos machettes. Même nos flèches ce sont les soldats qui nous les ont données », indique Seyni Shétima, tandis qu’un un sous officier du BIR, qui écoutait l’entretien, fait la grimace.

La réponse populaire et les risques de dérives

Ces propos mettent mal à l’aise le gouverneur de Maroua, Midjiyawa Bakari. « On va vérifier. Mais vous savez, les membres des comités de vigilance sont des paysans, des éleveurs, et avoir une machette, ce n’est pas avoir une arme en tant que telle », rétorque le gouverneur, qui précise que les membres des comités de vigilance sont recensés au niveau des sous-préfectures.

Sur place, sous le sceau de l’anonymat, un bon connaisseur de la région a émis des réserves sur la moralité des membres de certains comités. « Il s’agit souvent de repris de justice qui se paient sur la bête, ils sont mal encadrés et nous sommes peut-être en train d’encourager des caïds qui seront ingérables demain », met en garde notre source. Le Bataillon d’intervention rapide assure avoir remis à la justice plusieurs membres de comités qui ont agi en dehors du cadre de la loi, mais selon le BIR, ils ne doivent pas salir la réputation, l’honneur et le sens du sacrifice de ces hommes qui s’exposent souvent en première ligne face aux insurgés.

L’arsenal de mesures pour contrer cette menace semble avoir porté ses fruits, notamment au marché de Maroua, visé par un attentat fin juillet. « Les gendarmes sont ici, les femmes n’ont plus le droit de venir au marché avec un seau, les mendiants sont refoulés, et nous avons réduit le nombre d’entrées du marché », se réjouit Yaya qui tient une quincaillerie juste en face du marché. Pour les officiers en charge de la région de l’extrême-nord, la partie est loin d’être gagnée. « Nous nous sommes adaptés à la nouvelle menace des attentats », soupire un officier, avant d’ajouter : « Boko Haram vient de changer de moyen opératif avec les actes terroristes, mais rien ne l’empêche de passer de nouveau demain à un autre mode opératoire au niveau tactique ».

© RFI : Nicolas Champeaux

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