PRISES D’OTAGES : Des bergers accusés de complicité à Bélel
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Ils sont soupçonnés de sous-traiter avec les preneurs d’otages.

Il ne fait plus bon être éleveur à Bélel. Cet arrondissement, situé à environ 180 Km de Ngaoundéré, est devenu au fil des jours, du fait de la montée en puissance des prises d’otages, un véritable «No man’s land». En effet, c’est depuis plus d’un an que les preneurs d’otages sévissent dans ce coin reculé de la région de l’Adamaoua. Constitués en bandes armées, ces individus sans foi ni loi, pillent, volent, violent et parfois, égorgent sans scrupule des Camerounais. Leur technique, sans cesse rééditée, est simple : enlever les enfants des éleveurs, les conduire dans une brousse et envoyer des messages ou appeler leurs parents pour une négociation.

Les épilogues de ces rapts sont en général, malheureux ou heureux. Dans le premier cas, les otages sont tués, lorsque leurs parents tardent à verser la somme demandée ou lorsque les preneurs d’otages sont informés du recours, par ces parents, aux forces armées. Ainsi en a-t-il été du petit Awalou dont le corps sans vie avait été retrouvé dans un état de décomposition avancée, une dizaine de jours après sa capture. Dans le second cas, les familles décident de négocier pour la libération de leurs proches. «Chaque fois que j’étais informé d’un enlèvement, je réunissais les forces de maintien de l’ordre, ainsi que les membres de la famille, pour qu’ensemble, nous puissions élaborer une stratégie pour la libération des otages.

Mais chaque fois qu’on sortait de cette réunion, le lendemain, on venait m’informer que les otages avaient été libérés sans qu’on nous dise comment. On a donc compris qu’il y avait des complices dans les villages concernés», fulmine Mfopou Aliyou, sous-préfet de l’arrondissement de Bélel, qui pointe ainsi, subrepticement, le doigt sur l’objet de l’une des plus grosses controverses en cours dans la ville : l’implication présumée des riverains dans les prises d’otages.

ACCUSATIONS

Car, alors que le business de la prise d’otage prend de l’ampleur à Bélel et dans les villages environnants, plusieurs personnes soupçonnent certains habitants. D’autres vont même jusqu’à citer certains éleveurs et bergers. Des informations, fournies par les ravisseurs lors des négociations, témoignent d’une parfaite maîtrise par ceux-ci, non seulement du terrain, mais aussi et surtout des mouvements des familles ciblées. «Lorsqu’ils avaient enlevé mes deux enfants, j’étais en route pour le village. A ma descente du car, ils m’avaient appelé au téléphone et m’avaient dit qu’ils savaient que je suis arrivé au village. Ils m’avaient donné ma position exacte et décrit avec précision, la manière dont j’étais habillé. Tous mes mouvements étaient contrôlés. J’avais vraiment très peur au point où j’étais allé leur verser la rançon qu’ils demandaient», témoigne un parent.

Selon certaines élites de Bélel, ces informations seraient livrées à ces bandes armées par les bergers. Pour quelle raison ? Ces élites estiment que connaissant les va-etvient de leurs patrons, des bergers optent pour une collaboration avec des preneurs d’otages pour arrondir leurs fins de mois avec les revenus tirés de cette collaboration empreinte de trahison. Selon les statistiques officielles que votre journal a d’ailleurs déjà publiées, la région de l’Adamaoua trône en tête de la production bovine au Cameroun, car l’activité y
est importante. Ainsi, des centaines de têtes de boeufs sont confiées aux bergers chargés de les entretenir. Seulement, l’activité des bergers n’est pas aisée. Alim est âgé de 25 ans. Celui-ci a sous sa responsabilité 100 boeufs. Il se charge au quotidien de faire paître le cheptel de son employeur deux fois par jour. Il doit à la fois leur chercher de bons pâturages et un point d’eau pour s’abreuver.

En plus, il doit, au quotidien, déparasiter ces bêtes, nettoyer leurs enclos, et traire le lait qu’il dépose chez son patron chaque matin. Malgré ce gros travail qu’abat le jeune Alim qui a à sa charge deux épouses et plusieurs enfants, sa rémunération n’est pas, selon lui, à la hauteur des efforts déployés. Alim dit en effet recevoir un salaire mensuel de 10.000 Fcfa. Parfois, relate le jeune berger, son patron ne paye même pas ce salaire. «Avant, les bergers recevaient du bétail comme salaire. Chaque année, le berger avait droit à un animal. Au bout de deux ans, il vendait son animal et payait d’autres veaux, ainsi de suite. C’est comme cela que certains bergers se sont retrouvés avec des troupeaux de boeufs. Aujourd’hui, la donne a changé. Les éleveurs préfèrent aller prendre des bergers au Tchad, en RCA, au Nigeria, à qui ils peuvent payer la somme de 50.000 Fcfa après quatre ou cinq mois, ce qui ne représente presque rien», indique un natif de Ngaoundéré.

«Dans une situation comme celle-là, ces employés sont facilement manipulables. Il suffit que quelqu’un lui propose, par exemple, la somme d’un million de francs. Ce genre de négociation marche presque toujours lorsque le berger sait que de toute sa carrière, il n’aura pas cette somme. C’est pour dire que je ne serais pas surpris d’apprendre que les bergers sont complices des multiples enlèvements dans l’arrondissement de Bélel et ses environs», souligne une élite de Bélel. La situation est pratiquement incontrôlable au point que les éleveurs et une bonne partie de la population de ce coin du pays vivent quotidiennement avec la peur dans le ventre. S’il est vrai que la situation semble être maîtrisée aujourd’hui avec l’implantation du Bataillon de Commandement et de Soutien (BCS) à Bélel, certaines personnes pensent que les bergers ont joué un rôle important dans situation d’insécurité grandissante, compte tenu de leurs mauvaises conditions de travail.

© L’Oeil du Sahel : FRANCIS EBOA

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