Cameroun:Les jeunes reprennent en main les “beignetariats”
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Entreprenariat. Ces établissements de petite restauration sont désormais une activité économique pour sortir du chômage.Dans l’ombre du lever du jour, une silhouette frêle se crée un passage pour déposer les 2 seaux de 5 litres qu’elle tient de chaque côté de ses bras. 

Il s’agit d’Annick, 8 ans. Suivie de ses deux grands frères, elle range peu à peu l’espace qu’ils occupent au marché d’Etoudi de Yaoundé. Dans quelques minutes, il sera 6h, le marché va commencer à se remplir. Machinalement, la petite équipe s’active à disposer le nécessaire pour leur petite entreprise familiale. Tandis qu’Annick balaie le sol du hangar que ses frères et elle occupent, Brice, l’aîné, met en place le feu de bois sur lequel les trois posent la cuvette de friture. 

Guy, le deuxième, dispose les seaux de pâte à beignets non loin du feu et demande à sa soeur de ranger les assiettes et les plateaux destinés au service des clients.

Quelques minutes plus tard, le jour se lève enfin, les rayons du soleil touchent peu à peu la peau, et le marché est plus bruyant. A leur gauche, la vendeuse de plantain entasse ses nouveaux régimes tout droit venus d’un village à la sortie de la ville. Non loin, le vendeur d’oignons reverse le contenu du filet qu’il a soigneusement apporté à même le sol. Le premier à se tenir face au comptoir de Brice et ses frères est un petit garçon d’à peine 4 ans. Habitué à suivre sa maman au marché, il ne se lasse jamais des beignets de Brice. D’ailleurs, Annick connait déjà sa commande par coeur : bouillie de 50 F.Cfa, beignets de farine de 100 et haricot de 50. 

Après le petit bonhomme, plus de cinquante clients se succèdent devant le comptoir de la fratrie. La clientèle ne cesse d’affluer, et en moins de trois heures, la réserve de pâte à beignets est épuisée. La bouillie n’est plus qu’un lointain souvenir et la marmite de haricot est aussi vide qu’elle ne l’était avant qu’elle ne soit remplie à rasbord.

En faisant leur compte, Brice et sa petite équipe se félicitent d’avoir écoulé toute leur marchandise comme d’habitude.De cet argent, il retire de quoi racheter de la farine et les autres ingrédients pour faire les beignets qui les nourrissent tous. Cela fait 5 ans que Brice et son petit frère ont repris le commerce de leur maman. Diplômé en droit à l’université de Yaoundé 2, l’aîné des enfants de « Sita Marta » n’a jamais pu trouver un emploi stable. Guy qui le suit n’a pas pu aller audelà de la classe terminale. Le football est sa véritable passion, et il n’imagine pas son avenir d’une autre manière qu’avec un
ballon à ses pieds.

Il y a quelques années, leur mère qui tenait le « beignetariat » du marché tombe malade. A l’hôpital, on lui détecte un cancer de la peau. La tumeur, déjà avancée, fait souffrir la maman de Brice. A cause de cette maladie, elle est obligée d’abandonner la seule activité qui lui permet de nourrir ses enfants depuis le décès de son époux.

Du jour au lendemain, impossible pour elle de payer la scolarité de chacun d’entre eux. Encore moins de lever le petit doigt. C’est alors que son fils aîné pense à reprendre son commerce de beignets. 

Nous sommes en 2011. L’ancien étudiant se rappelle : « maman avait déjà passé plus de six mois à la maison, chaque jour il fallait l’amener à l’hôpital, lui acheter des médicaments,toutes ses économies y sont passées. A côté de ça, mes cadets devaient partir à l’école, sans compter l’argent dont j’avais besoin pour déposer mes dossiers çà et là ». C’est alors fatigué de faire appel à des oncles et tantes peu participatifs que Brice incite son petit frère à le suivre dans cette nouvelle aventure. 

Les deux garçons ont la chance que l’espace réservé par leur mère au marché n’ait pas toujours été pris. Aussi, c’est au même endroit qu’ils décident de recommencer à vendre des beignets. Habitué à voir leur mère apprêter chaque soir la pâte à beignets,c’est tout naturellement que Brice la refait chaque soir. Il est assisté de son petit frère qui est chargé de frire les beignets, et de ranger les effets chaque après-midi après la vente. Ce n’est que pendant les congés que la dernière de la famille les rejoint, et aide au service.

Un commerce avant tout

Avant de se lancer dans la vente des beignets, Brice a repensé l’idée de départ de sa mère. Malgré les réticences de celle-ci, le jeune garçon persévère et décide d’améliorer ce que faisait « Sita Marta ». A la réouverture du « beignetariat », c’est un nouveau décor que les clients découvrent : des bancs en bois plus confortables que ceux d’avant, un foyer protégé de part et d’autre de façon à éloigner la fumée des visiteurs qui s’en plaignaient auparavant, de nouvelles assiettes, de nouveaux couverts, et un sol crépide sorte à éviter la boue les jours de pluie. Aussi, à quelques mètres de leur carré, les deux frères installent une plaque de bois pour indiquer que l’endroit est de nouveau ouvert. A leur début, certains sont sceptiques, et sont presque sûrs qu’ils ne feront pas aussi bien que leur mère. 

Mais, grâce à une recette bien assimilée et un service plus efficace et rapide, en quelques semaines, la clientèle des deux frères augmente et même les personnes de passage dans le marché sont conquises. L’un de leurs clients dit à cet effet : « ils sont propres, professionnels et surtout leur nourriture est bonne, pourquoi ne pas revenir ? »

Comme Brice et son frère, Ekobo et Edgard, deux amis, sont à la tête d’un commerce du même genre au quartier Ngousso. Agés respectivement de 29 et 27 ans, ils tiennent cette affaire depuis 2 ans. Non loin d’une école supérieure de commerce, leur « beignetariat » est l’endroit à visiter quand on arrive à Ngousso. 

Pour les habitants du quartier qui les ont vus évoluer, c’est surtout la joie de vivre des deux « petits patrons » qui incite à revenir dans leur établissement. 

Ce lundi matin, c’est avec un peu de retard que les amis d’enfance ont commencé à servir leur clientèle. De prime à bord, ils s’excusent à chaque fois que l’un de leurs clients habituels arrive.

Dans leur « beignetariat-cafétariat», on propose de la bouillie de maïs, des beignets de farine,des beignets de maïs, du haricot rouge, du poisson frit, des
frites de plantain et des bâtons de manioc. De quoi satisfaire les amateurs de mélanges explosifs.

Ce qui n’est pas au goût de leur concurrente installée à quelques 100m de leur emplacement.Ekobo et Edgard lui ont ravi la vedette depuis le jour où ils sont venus emménager l’espace vide qui était inoccupé avant. Depuis, les clients se font rares et la dame a été obligée de revoir ses stocks de nourriture à la baisse. Si bien que les altercations entre les garçons et leur voisine mécontente sont devenues fréquentes. Mais, cela ne change rien au succès que les deux « apprentis-footballeurs» ont dans les environs.

Une routine de militaires

En décidant de vivre de la vente des beignets, Ekobo et Edgard se sont fait la promesse de changer des autres « beignetariats». Les deux garçons misent ainsi sur l’accueil et la qualité des ingrédients sélectionnés pour faire leurs beignets.

Aussi, côté discipline, ils mettent un point d’honneur à toujours satisfaire leurs clients. Il n’y a qu’à voir le programme rigoureux qu’ils se sont composés pour le confirmer. Leur établissement ouvre du lundi au samedi, de 6h30 à 16h. C’est le dimanche matin qu’ils font toutes les courses de la semaine : huile raffinée, farine de blé, sucre, banane, boules pour bouillie, haricot, poisson, plantain, etc. Les garçons stockent le tout dans un réfrigérateur qu’ils ont hérité de leurs parents.

Au fil de la semaine, ils se servent petit à petit. C’est à 4h du matin qu’ils commencent à apprêter la nourriture qui sera servie aux acheteurs. Le poisson est nettoyé le dimanche, en grande quantité, puis salé. Le piment est écrasé au moulin du quartier en grande quantité et, c’est dans une marmite calée au fond du réfrigérateur qu’il est stocké. Mais, chaque matin, Ekobo découpe les plantains en lamelles, et prépare les pâtes à beignets tandis que son associé apprête leur beignetariat. C’est à 6h que la fumée des fritures se met à monter et attire les curieux. Patrick, un habitué de l’endroit, dit à cet effet : « ils sont toujours à l’heure et ils cuisinent même mieux que les femmes qui vendent aussi les beignets ». Leur longue journée de travail s’achève lorsque les entrainements de football débutent à 17h. En général, lorsqu’ils sont pressés, ce sont leur petit frère ou leur voisin qui se chargent de ranger tout dans le « mini-restaurant».

Depuis plusieurs années, les « beignetariats » se masculinisent.

Au grand dam de la maman du quartier qui se contentait de faire un seau de pâte pour arrondir les fins du mois dans son foyer. Ces établissements d’un nouveau genre séduisent de par leur rigueur et leur professionnalisme.

Et si certains voient en ces « beignetariats new-look » une solution au chômage, certains comme Henri Edjengte, propriétaire du même type d’établissement, pensent : « on ne peut pas en faire le travail de toute une vie. La fumée qui pique les yeux, les horaires assez difficiles et les clients difficiles à gérer fatiguent à la longue.C’est pourquoi il faut penser à quelque chose à faire après.Personnellement, j’aimerais ouvrir une épicerie et l’agrandiravec le temps ».

NB: Crédit photo/Je Wanda Magazine

© Le Jour : Ines Ntsama

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