Aéroports du Cameroun : Les déboires des bagagistes
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Munis de chariots, ils vont au lever du jour et très tard la nuit, chercher un peu de sous pour s’occuper de leur famille. Ils affrontent intempéries et injures des clients.

Une Toyota Corolla s’avance. Elle se gare dans le vaste parking de l’aéroport international de Yaoundé Nsimalen. Arthur l’aperçoit au loin. Le jeune homme est vêtu d’une blouse verte avec l’inscription « bagagiste » sur le dos. Un chariot entre les mains, Arthur accourt et propose : « bonjour madame. Vous désirez un bagagiste ? ». La dame hésite un instant avant de se décider. Elle ouvre la malle arrière de sa voiture et laisse le soin à Arthur de s’occuper de ses bagages. En quelques secondes, les cinq valises que contient le véhicule sont déchargées et disposées sur le chariot. Direction la salle « Départ ».

À cet endroit, il décharge les sacs et la dame lui glisse un billet. « Elle vient de me donner 2 000 F. Cfa. Depuis 13 heures que j’ai commencé le service, j’ai déjà perçu 7 000 F. Cfa », confie-t-il. Depuis cinq ans, ce père de deux enfants, âgé d’une trentaine d’années, s’occupe du port des bagages à l’aéroport international de Yaoundé Nsimalen. L’argent économisé jusque-là lui a permis d’acquérir un lopin de terre dans la capitale politique. Il est 20 h 30 min. Ce n’est pas la grande affluence ce samedi à l’aéroport. Les dix  autres bagagistes autour d’Arthur n’ont pas eu la même chance que lui. Ils attendent l’arrivée des véhicules. Bien plus encore, les passagers du prochain avion. Une heure plus tard, toujours rien. Sur les visages, une lueur d’espoir apparaît lorsqu’un véhicule fait son entrée dans le parking de l’aéroport.

Un bagagiste s’avance et propose ses services à la jeune femme assise à l’arrière de la voiture. Mais, celle-ci décline l’offre. « Je suis juste venue chercher quelqu’un ». A l’aéroport international de Douala par contre, les bagagistes ont plus d’activités ce mardi. Une voiture vient de se garer. Une religieuse en sort et ouvre la malle arrière. Un bagagiste accourt aussitôt avec son chariot et transporte les sacs. D’autres qui n’ont pas de chariots, choisissent des moyens palliatifs pour transporter les paquets. Une Rav4 se gare. Un autre porteur s’avance, sort un paquet emballé dans un plastique et le porte sur l’épaule. Il hèle un autre bagagiste : « Hé, mets mon numéro. Je n’ai pas de chariot ». Il se dirige par la suite à l’intérieur de l’aéroport avec le paquet.

Le collègue en question tient dans sa main un rouleau sur lequel des numéros sont inscrits. « Les bagages du premier client sont transportés par le premier bagagiste à s’enregistrer et ainsi de suite. Lorsque tout le monde est passé, le cycle recommence », explique l’un des chefs des bagagistes. Qui précise que celui qui triche peut écoper d’une mise à pied d’une semaine.

1000 F. Cfa par jour pour exercer

Les bagagistes des Aéroports du Cameroun (Adc) sont des employés de la Société des travaux et services (Sts). Cette société a signé une convention avec les Adc depuis 1995, apprend- on. La Sts occupe le domaine de portage de bagages dans les aéroports de Yaoundé, Douala, Ngaoundéré, Maroua et Garoua. Les employés de la Sts sont constitués de permanents et de temporaires, et ne sont pas rémunérés. D’après le représentant du président directeur général de la Sts, ce sont les bagagistes eux-mêmes qui « se paient ». Arthur, le porteur de Yaoundé, affirme qu’il peut gagner entre 5000 et 10 000 FCFA par jour. Cependant, il est obligé de reverser la somme de 1000 F. Cfa chaque jour à la société Sts. « Qu’il y ait boulot ou pas, chaque employé est tenu de verser sa contribution journalière à l’entreprise, même en cas d’absence », assure-t-il.

Si les employés de Yaoundé acceptent de nous parler, ceux de Douala sont plus réticents. Lorsque les reporters se présentent à ces derniers, plusieurs refusent de se prononcer sur leur activité. Ceux qui consentent à parler, requièrent l’anonymat. « Nous avons peur des représailles», se justifie un bagagiste. L’un d’eux avoue tout de même qu’à la fin de la semaine, chaque employé verse la somme de 10 000 F. Cfa à la société (Sts, ndlr). « Nous n’avons pas de salaire. C’est le passager qui nous paye. Que les activités marchent ou pas, nous devons donner nos 10 000 F. Cfa. Quand tu ne paies pas, tu es sanctionné. L’entreprise récupère alors la tenue remise au début du travail pour une semaine », confie-t-il.

Pourtant, Youssoufa Madakoua, le représentant du Président directeur général (Pdg) de la Sts, affirme le contraire. A en croire ce dernier, depuis 2006, les activités tournent au ralenti. Conséquence, aucun bagagiste ne paie plus aucun franc à la société. Mais ils sont plutôt « dépannés » par celle-ci. A Nsimalen, le service est plus libre. Les employés peuvent arriver à l’heure voulue. L’essentiel étant de payer en fin de soirée la somme de 1000 F. Cfa. A Douala, par contre, tout est structuré. D’après un bagagiste qui exerce depuis un an, il existe deux équipes, à savoir : ‘’A’’ et ‘’B’’. Le groupe ‘’A’’ à lui seul compte 42 personnes. Il travaille de 6 h 30 à 15 h 30 min sous la supervision de quatre chefs. Le groupe ‘’B’’ commence le service à 15 h 30 et l’achève à minuit, avec trois chefs.

Pourtant, d’après Youssoufa, les deux équipes devraient être constituées de 34 bagagistes chacune, avec six chefs par équipe. Ce nombre ne peut être revu à la hausse par la Sts qu’après avoir informé les Aéroports du Cameroun (Adc). Sur le dos de la blouse des chefs, est marquée une lettre de l’alphabet. Ce signe les différencie des simples bagagistes, qui ont des chiffres. « Les deux équipes sont réparties entre les deux parkings (haut et bas) de l’aéroport de Douala. Celui du bas est appelé « Kosovo », parce qu’avant, il y avait trop de bagarres à cet endroit », explique un chef.

La Sts réclame ses droits

A l’extérieur de la salle d’arrivée de l’aéroport international de Douala, un bagagiste nous informe qu’il attend impatiemment trois Chinois dont l’avion vient d’atterrir. Il ne peut avancer plus loin. Il est surveillé à la loupe par des policiers qui vont et viennent. Le porteur explique que depuis quelque temps, l’accès à l’aéroport n’est pas du tout facile. La sécurité y est de mise. « Il y a des matins où les policiers nous dérangent vraiment. Quand on prend les bagages d’un passager pour aller les déposer, ils nous interdisent d’entrer dans le hall ou d’aller plus loin. Lorsque l’avion atterrit, ils nous empêchent d’aller ‘’tacler’’ le passager. C’est comme si on ne travaillait pas pour l’aéroport. Pourtant, nous avons des tenues », déplore un autre bagagiste.

A en croire Youssoufa, l’autorité aéronautique a interrompu l’activité de portage dans les aéroports du Cameroun depuis 2006. « Adc nous a envoyé des notes à maintes reprises pour nous faire savoir que nous n’avons pas accès dans les zones réservées. Pourtant, par le passé, les bagagistes avaient accès à la zone ‘’Salle départ’’, ‘’Salle d’arrivée’’. Ils pouvaient aller au niveau du salon d’honneur pour s’occuper des bagages des diplomates, et même jusqu’à l’aérogare. Nous venons juste occuper le terrain », avoue-t-il. La Sts estime que depuis 2006 jusqu’à nos jours, elle ne jouit pas parfaitement de ses droits tel que le dit la convention Adc-Sts. Voici ce que dit la convention : « le port de bagages dans les aéroports du Cameroun émane exclusivement de la société agréée par les Adc avec une convention d’occupation de port de bagages sur la plateforme ».

A l’aéroport international de Nsimalen, le problème est d’un autre ordre. Il vient de la part de certains clients qui refusent de payer après le service rendu, apprend-on. Pourtant, il est inscrit sur la blouse des bagagistes la somme à payer pour chaque bagage transporté. Ce montant est de 300 F. Cfa. « Après avoir passé des heures avec un client, celui-ci vous dit tout simplement merci et s’en va», regrette Arthur. D’autres clients n’ont même pas cette politesse. Ils tiennent plutôt des propos injurieux à l’endroit des bagagistes qui réclament leur argent. Ils estiment que les chariots appartiennent à l’aéroport. Conséquence, il n’est pas question de payer le moindre sou. Pourtant, ces porteurs sont des employés de la Société des travaux et services (Sts) à qui ils fournissent un dossier avant tout recrutement.

Le dossier en question est constitué d’: une demande manuscrite, quatre photos 4X4, un certificat médical qui atteste que le postulant jouit de toutes ses facultés physiques et mentales. Un bulletin n°3 du casier judiciaire, une copie d’acte de naissance et une photocopie de la carte nationale d’identité. Après avoir fourni tous ces documents, le postulant reçoit un avis favorable de la part de la Sts pour aller réaliser une enquête de moralité à la gendarmerie ou au commissariat de police de l’aéroport. Et ce n’est qu’après toutes ces démarches qu’il est considéré comme bagagiste.

© Le Jour : Hélène Tientcheu et Calixte Ngonyap

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