Visite officielle : Muhammadu Buhari à Yaoundé ce mercredi
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Adapter une riposte commune face à la montée en puissance des attentats de la secte islamiste, sera le sujet majeur à l’ordre du jour de la rencontre avec Paul Biya.

Il sera également question de refaire le tour de la coopération entre les deux pays dont nous retraçons ici les grandes lignes. Au moment où nous allions sous presse, les officiels camerounais n’avaient pas encore rendu publics la date et le programme de la visite officiel du président nigérian au Cameroun. Mais selon des indiscrétions glanées dans le sérail, l’actuel locataire du Palais d’Aso Rock d’Abuja, arrive à Yaoundé, sauf contretemps, dans la matinée du mercredi 29 juillet, comme nous l’annoncions déjà dans ces mêmes colonnes. Tout serait déjà fin prêt au Palais de l’unité pour accueillir l’hôte de marque, apprend-on. Un dispositif sécuritaire adapté au contexte de l’heure, marqué par la multiplication des attentats suicide au nord-est du Nigeria et à l’Extrême-nord du Cameroun, a été mis en branle. Le protocole d’État aurait déjà fait les derniers réglages. Le pavillon présidentiel de l’aéroport international de Yaoundé Nsimalen, a fini de faire sa toilette des grands jours. Une passerelle adaptée au Boeing Business Jet (737) désigné Naf-001 et qui sert de moyen de transport au président nigérian, est prête.

La visite officielle du successeur de Goodluck Jonathan intervient au moment où les hommes d’Abubakar Shekau multiplient des attentats suicides. En l’espace quelques jours, l’Extrême-nord Cameroun a été la cible de trois attaques terroristes, laissant sur le carreau une cinquantaine de morts. Au nord-est du Nigeria, la nébuleuse jihadjiste a fait plus de 100 morts ces dernières semaines. De ce fait, indique-t-on dans les milieux diplomatiques où se prépare activement la rencontre entre les chefs d’État camerounais et nigérians, la coopération militaire sera au centre du tête-à-tête entre les deux hommes. Il sera question d’adapter une riposte globale face à la menace, en prenant des mesures fortes. La plus attendue reste le droit de poursuite entre les deux pays.

Coopération fructueuse entre les deux pays

Partageant une longue frontière terrestre et maritime de 1500 km environ, le Cameroun et le Nigeria entretiennent de bonnes relations depuis fort longtemps. Établies en 1960, les relations politico-diplomatiques entre les deux pays sont influencées par des facteurs à la fois, historiques, géographiques et économiques. Ces rapports sont soutenus par de nombreux accords bilatéraux. Notamment, l’accord d’amitié et de coopération du 06 février 1963, l’accord culturel, social et technique du 22 mars 1972, l’accord de Greentree du 12 juin 2006 sur l’affaire de la péninsule de Bakassi, l’accord de coopération dans le domaine du sport et de l’éducation physique du 18 février 2011 à Yaoundé, l’accord de coopération dans les domaines des sciences et des technologies du 11 avril 2014 et l’accord en matière de développement de la jeunesse du 11 avril 2014 à Yaoundé.

Aux plans économique, commercial et technique, le Cameroun et le Nigeria développent également des échanges profitables. Ainsi, depuis 2009, il est organisé de manière rotative des Journées économiques et commerciales (Jec) dans les deux États : Douala en février 2009, Calabar en août 2009, Port-Harcourt en novembre 2010, Kano en mars 2010, Lagos en décembre 2012. Actuellement, un Forum d’affaires entre les deux pays est en cours de préparation. Dans le domaine des postes et télécommunications, la coopération s’est consolidée à travers les assises d’Abuja en 2009. Un comité de suivi a été mis en place au niveau du ministère des Postes et Télécommunications (Minpostel).

Des échanges formels font état de ce que le Nigeria est le deuxième fournisseur du Cameroun, soit 13,8% de ses importations, pour un volume de 1.039.064 tonnes et une valeur de 452.018.000.000 Fcfa, derrière la Chine (14,2%) et avant la France 12,2%), l’Inde (5%) et les États-Unis d’Amérique (3,9%). En revanche, le Cameroun se classe au 14è rang des pays exportateurs vers le Nigeria, soit 1,8%, pour un volume de 65.388 tonnes et une valeur de 39.531.000.000 Fcfa. Il s’agit pour l’essentiel des produits alimentaires, du bétail, des huiles végétales et du savon. Et pour des raisons de proximité géographique, culturelle et historique, le gros des échanges entre les deux pays se fait dans l’informel, à travers notamment des régions de l’Extrême-Nord, du Nord, du Sud-Ouest et de l’Adamaoua.

Boko Haram, l’ennemi commun. Dans le domaine de la sécurité, les deux pays ont procédé à la signature d’un accord portant création d’un Comité de sécurité transfrontalière (Cst), le 28 février 2012 à Abuja. C’est dans ce cadre que les responsables en charge des questions de renseignements se rencontrent ici et là en cas de nécessité. Depuis quelques temps, la lutte contre Boko Haram est une préoccupation majeure entre les deux États. Pour tordre le coup à cette menace, le Cameroun a créé en août 2014 une 4è Région militaire inter armées (Rmia4), une 4è Région de gendarmerie et la 41è Brigade d’infanterie motorisée. De son côté, les autorités nigérianes ont délocalisé le quartier général des forces de défense à Maiduguri, en juin dernier. Dans le cadre de la lutte contre la secte islamiste qui entretient l’insécurité dans le bassin du lac Tchad, des réunions de suivi de la mise en œuvre des résolutions du Sommet de Paris (14 mais 2014) se sont tenues le 12 juin 2012 à Londres, le 05 août 2014 à Washington, le 03 septembre 2014 à Abuja et le 20 janvier à Niamey.
Au demeurant, il existe des projets susceptibles de renforcer la confiance entre les deux pays frères et amis. Entre autres, le projet de construction de la route Manfé (Cameroun)-Enugu (Nigeria), le projet d’interconnexion électrique en vue du transfert de l’énergie du Cameroun vers le Nigeria et le projet de construction d’un port sur le fleuve Mayo-Tiel dans la région du Nord, frontière de l’État fédéré de l’Adamawa.

Paul Biya

Né le 13 février 1933, Paul Biya accède à la magistrature suprême le 06 novembre 1982, suite à la démission d’Ahmadou Ahidjo, deux jours plus tôt. La loi n°79/02 du 29 juin 1979 ayant fait de lui le Premier ministre, successeur constitutionnel du président de la République. Il est le deuxième chef de l'État du Cameroun. Au moment de son accession à la magistrature suprême, Paul Biya est le premier vice-président du Comité central de l'Union nationale camerounaise (Unc) et membre du Bureau politique de ce parti.
Le 14 janvier 1984, le diplômé d'études supérieures en droit public et non moins président de l’Unc est élu président de la République. Il est ensuite tour à tour réélu le 24 avril 1988, le 11 octobre 1992 (première élection présidentielle au suffrage universel direct avec plusieurs candidatures au Cameroun), le 11 octobre 1997, le 10 octobre 2004 et le 9 octobre 2011. En promulguant, le 19 décembre 1990, la loi sur les associations et les partis politiques, M. Biya restaure le multipartisme au Cameroun. A ce jour, plus de 200 partis politiques sont légalisés. D’ailleurs, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), sa formation politique, a obtenu la majorité absolue lors des élections législatives de mars 1997, de juin 2002 et de juillet 2007. Et en dépit de ces victoires, le président de la République a toujours choisi de former des gouvernements d’ouverture. C’est sous son règne que les libertés d’expression et de la presse, entre autres, sont devenues une réalité au Cameroun. Il est l'auteur d'un essai politique, « Pour le Libéralisme Communautaire », Éditions Marcel Fabre, Lausanne 1987. Pour l’émergence du Cameroun à l’horizon 2035, sous son impulsion, le pays est aujourd’hui dans un vaste chantier, à travers la politique des «Grandes réalisations».

Muhammudu Buhari

Né le 17 décembre 1942, Muhammadu Buhari est, au terme du scrutin du 28 mars dernier, élu avec 54% des voix contre 45% pour le président sortant Goodluck Jonathan, président de la République fédérale du Nigeria. Sous la chapelle politique d’All Nigeria peoples party (Apc), coalition des partis politiques de l’opposition. Sa victoire a donné lieu à la première alternance démocratique et pacifique du pays le plus peuplé d’Afrique. Militaire de carrière, ancien ministre du pétrole en 1976, Muhammadu Buhari a participé à deux coups d’État au Nigeria. Le premier, particulièrement sanglant, en 1966. Le second, en 1983 ; il va renverser le président démocratiquement élu, Shehu Shagari. Il prend le pouvoir et y règne jusqu’en août 1985.

Après la restauration de la démocratie en 1999 avec l’élection d’Olusegun Obasanjo, Muhammadu Buhari se présente sans succès à chaque élection présidentielle (2003, 2007 et 2011) au Nigeria. D’obédience musulmane, il n’est pas connu pour être un radical. La preuve, le 04 janvier dernier, il s’est déclaré en faveur de la liberté de la religion. C’est visiblement un «démocrate converti, prêt à gouverner de façon démocratique». Pendant la campagne présidentielle de 2015, il s’est engagé à lutter contre la secte islamiste de Boko Haram, de manière efficace. Il est à relever que M. Buhari a été président du Petroleum trust fund (Ptf), organisme créé par le gouvernement du général Sani Abacha et financé par les recettes du marché pétrolier. Reconnu de bonne moralité, un rapport de 1998 du New African avait salué la transparence de la Ptf sous la présidence de Buhari. La lutte contre la corruption, qui dilue les efforts de la première puissance africaine depuis 2014, est l’un des défis immédiats de son mandat de quatre ans. Le politique a reçu plusieurs prix et médailles.

Des repères sur la secte islamiste nigériane

  • Boko Haram : «l’éducation occidentale est un péché », en haoussa
  • Nom officiel : groupe sunnite pour la prédication et le djihad (2002-2015)
  • Idéologie : salafisme djihadiste, takfirisme, anti-occidentalisme
  • Objectifs : création d'un califat régi par la charia

Fondation : 2002

  • Leaders : Mohamed Yusuf (2002-2009) et Abubakar Shekau (depuis 2009)
  • Pays d'origine : Nigeria
  • Mode opératoire : lutte armée, guérilla, attentats-suicides, massacres, prises d'otages
  • Zones d'opération : nord-est du Nigeria (États de Yobe, Adamaoua et Borno), Extrême-Nord du Cameroun, Tchad et Niger.
  • Alliées : Al-Qaïda par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et organisation État islamique en Irak
  • Effectifs : environ 7 000 à 10 000 combattants
  • Répression : considéré comme groupe terroriste par Onu
  • Financements : grand banditisme, braquage des institutions bancaires, rançons des kidnappings, donations des groupes terroristes, trafics de drogue, braconnage…

Interview - Mathias Éric Owona Nguini : ‘’Il faut une mobilisation collective à deux paliers essentiels’’
Le politologue fait une analyse du contexte dans lequel intervient la visite de Muhammadu Buhari, président du Nigeria, au Cameroun et propose une démarche pour une lutte efficace contre la menace Boko Haram.

Quel commentaire vous inspire la visite du chef de l’État nigérian au Cameroun ?
La visite du président nigérian Muhammadu Buhari au Cameroun sera l’occasion pour les deux chefs d’État d’échanger sur l’ensemble des relations entre le Nigeria et le Cameroun, de faire un tour d’horizon de l’évolution de ces relations qui sont diverses. En effet, le Nigeria et le Cameroun entretiennent des relations politiques, économiques, stratégiques, sociales et culturelles. Dans la conjoncture actuelle marquée par la crise sécuritaire liée à la montée en puissance transnationale du terrorisme dans le bassin du lac Tchad, évidemment l’un des grands sujets de discussions entre les deux présidents de la République sera la question de la lutte contre ce phénomène extrêmement préoccupant d’insécurité.

Croyez-vous que la lutte contre le Boko Haram, dans les deux pays voisins, peut être efficace sans l’existence d’un droit de poursuite réciproque sur le territoire de l’un et l’autre pays ?
La question du droit de poursuite est un sujet qui relève de l’opérationnel. Elle me semble en réalité secondaire. Ce qui est important, c’est la construction d’une convergence diplomatique et politique, non seulement entre Abuja (capitale du Nigeria, ndlr) et Yaoundé (capitale du Cameroun, ndlr), mais aussi entre ses capitales et les autres capitales que sont N’Djamena (Tchad, ndlr) et Niamey (Niger, ndlr). Il est effectivement important que l’ensemble des pays du bassin du lac Tchad qui ont déjà concrètement été confrontés à la menace de la terreur puissent forger de leur propre initiative un cadre commun d’action et de lutte. Parce que la menace à laquelle ils font face est aujourd’hui une menace transnationale. Une menace qu’on ne pas aborder simplement avec des outils nationaux d’action.

Peut-on attendre une meilleure coordination des armées des 5 pays coalisés au sein de la force régionale de 8700 personnes à mettre sur pied ?
La coordination est possible. Mais, il ne suffit pas de l’évoquer de manière abstraite pour quelle soit réalisée. La condition initiale de cette coordination est précisément un dialogue au sommet, débouchant sur un accord politique et diplomatique entre les États concernés, un accord qui soit essentiellement orienté par la volonté propre de ces États, indépendamment de l’intervention, soit des grandes puissances étatiques internationales telles que les États-Unis, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne ou d’autres, ou telles que des organisations internationales à vocation universelle comme les Nations unies (Onu) ou à vocation régionale comme l’Union africaine (Ua).

Quelle analyse faites-vous des attentats-suicides de Boko Haram à Fotokol et Maroua ?
Les attentats-suicides qui ont eu lieu au Cameroun étaient largement prévisibles. A partir du moment où Boko Haram et les groupes apparentés avaient déjà eu à commettre de telles actions à N’Djamena. Il est évident que si ces groupes ont agi de cette manière contre la capitale tchadienne, c’est parce que ce pays là est devenu l’un des nouveaux adversaires de Boko Haram et ces groupes de la terreur.
Maintenant, il est évident aussi que la Cameroun fait partie des pays que Boko Haram et les groupes apparentés considèrent comme un adversaire. Sur la base de cette analyse, on peut considérer qu’à partir du moment où N’Djamena était visé, le pourtour du Tchad, et particulièrement l’Extrême-Nord du Cameroun, était visé non seulement à travers Kousseri qui est dans le voisinage de N’Djamena, et même Maroua. De toutes les manières, nous l’avions indiqué précisément à partir du moment où il y a eu des attentats de N’Djamena, que la ville de Maroua parce qu’elle est la capitale régionale de l’extrême-Nord était dans le collimateur.

Les mesures de prévention prises jusqu’ici par les pouvoirs publics sont-elles suffisantes pour éviter que de telles attaques soient à nouveau perpétrées ?
Face à un phénomène qui est mouvant et fluctuant, face à une menace qui peut prendre des formes différentes, on ne peut jamais être sûr que l’ensemble des solutions qu’on propose est complet. Ce qui est important, c’est la capacité des autorités à suivre la dynamique de la menace, à voir comment cette menace prend des formes diverses pour essayer de mettre en place des solutions toujours appropriées, capables d’intégrer cette fluctuation qui est un élément essentiel du conflit, tel que celui-ci est perçu par Boko Haram et les groupes apparentés qui combattent les États du bassin du lac Tchad. Particulièrement le Nigeria, le Cameroun, le Tchad et le Niger.

Des suggestions du politologue
Ce qui me semble important, c’est l’idée d’une mobilisation collective qui se ferrait à deux paliers essentiels. Le premier palier est à caractère national, c’est-à-dire dans chacun des pays concernés. Au-delà du folklore politique, il est important de construire un consensus national pour avoir des coalitions anti-terroristes solides. Au plan régional, il est capital que les pays mettent en place un cadre commun, qui n’est possible que sur la base d’un accord politique et diplomatique exprimant clairement la volonté des États affectés par cette forme de la terreur de lutter contre cette menace.

© La Météo : Pierre Amougou

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