L’esclave moderne au Moyen-Orient - Marlyse Etemé : «Quand vous arrivez, vos papiers sont confisqués … »
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Victime des vices de l’immigration vers les pays du moyen orient, elle milite en faveur de la lutte contre ce phénomène depuis son retour au Cameroun.  Dans cet entretien livré à notre rédaction, elle revient sur son expérience et tire ainsi la sonnette d’alarme.

Il se trouve que le réseau des trafiquants des jeunes filles de l’Afrique vers les pays du Moyen-Orient prend des proportions importantes, qu’est-ce qui justifie de tels trafics aujourd’hui ?
Parce que nos filles  pensent que la vie est plus facile dans ces pays. De même les agences qui recrutent  les filles, leur font croire que là-bas ce sera bien mieux. Parce que le salaire sera bien, à la fin du mois tu peux te retrouver avec 15 0000 Fcfa, surtout qu’au Cameroun, il est difficile de trouver une ménagère qui peut gagner jusqu’à 300 mille Fcfa. Pourquoi ne pas tenter cette aventure. Et aussi, plusieurs personnes aujourd’hui veulent voyager à tout prix,  ce qui est une grossière erreur.

Vous qui avez côtoyé ce monde, est-ce-qu’on peut  avoir les statistiques des femmes qui immigrent vers ces pays d’Asie ?
Je ne peux pas avoir les chiffres exacts, mais je sais qu’environ 200 filles par jour sont transportées vers ces pays, en provenance des pays d’Afrique, d’Asie et autres.

Quel est le mode de recrutement ?
Ça peut être un membre de la famille, un ami qui vous parle de l’agence de recrutement. Ces gens utilisent également internet pour poster les annonces  du genre, on a besoin des filles pour travailler comme ménagère, Baby Sister et autres dans ces pays du Moyen Orient. Et on vous propose un salaire et en plus les coûts de voyage sont insignifiants.  Exemple 200 mille pour aller au Liban, 650 mille pour Dubaï. On voit ça partout,  affiché dans les rues. Quand les filles sont prises ici, elles sont dirigées vers les agences.  Il y a un contrat de travail, c’est toute une procédure  qui part de la prise de contact, de la signature du contrat, des examens et du jour du départ. On vous demande parfois de verser  une certaine somme, pour celles qui tombent sur des arnaqueurs.

Dites nous, vous évoquez ces problèmes comme une expérience, ou c’est ce que tout le monde connaît à travers les médias, comment êtes-vous parvenue à devenir une combattante ?
Cela a été une longue expérience, je peux dire que Dieu s’est servi de moi pour qu’aujourd’hui je sensibilise les autres filles. Je suis entrée dans ce milieu, j’y ai travaillé, j’ai flirté avec le danger. C’est pourquoi je pense que je suis la personne la mieux placée pour défendre la cause de ces filles, parce que moi-même je suis une victime.

Le phénomène que vous décriez, semble être très grave. Pour être concret, comment ça se passe ?
Ils vont sur Internet, les réseaux sociaux  tels que Facebook où ils postent des annonces. Nous savons que le taux de chômage au Cameroun est très élevé et beaucoup de jeunes filles n’arrivent pas à trouver du travail. Du coup, c’est une opportunité. Parce  que, quand on vous présente le contrat, on vous dit que la première année, vous aurez droit à 150 mille Fcfa de salaire et la deuxième, 200 mille et 250 mille pour la troisième année et quitte à vous de renouveler le contrat après la troisième année.  On vous dit en plus, que vous êtes nourries, logées et soignées. Donc votre salaire, c’est juste pour l’épargne et envoyer  au pays.  Le contrat se signe ici  dans l’agence du Cameroun qui vous précise les modalités de travail. C’est-à-dire de lundi à samedi, de 7h30 à 20h et le dimanche vous sert de jour de repos et vous pouvez faire toutes vos activités.

Quelles sont les pratiques courantes dans ces pays ?
Rien que d’y penser, ça donne les larmes aux yeux. De savoir que beaucoup de filles africaines sont tuées dans ces pays, maltraitées. Il y a des femmes qui ne reviendront jamais au Cameroun parce qu’elles sont mortes. Elles ne donnent plus de  nouvelles à leur famille. Il y a beaucoup de danger dans ces pays, la réalité vous  rattrape quand  vous êtes à l’aéroport. Quand vous êtes encore  au Cameroun, ils vous disent qu’une fois arrivé à l’aéroport, vos patrons vous attendent avec des pancartes. Il faudrait bien qu’on dise à ces filles comment ça se passe. Quand vous arrivez, vos papiers sont confisqués, vous êtes enfermés dans une pièce ce qui n’est pas dit. C’est un long réseau de mafia qui commence à partir du Cameroun. On met dans une petite pièce qui n’a pas de fenêtre près de 300 filles, elles se marchent dessus pratiquement. Près de 4 h après quand votre patron arrive, on fait l’appel comme on le faisait avant, comme ça se voit dans les films sur l’esclavage. On vous fait également passer les examens dans les agences de ce pays d’accueil, parce que chez eux il est presque interdit de tomber malade, parce que le jour où vous tombez malade, vous allez payer les pots cassés. Parce  que les patrons savent qu’ils ont dépensés pour vous faire venir, et voilà un autre problème.  Ces patrons payent pour votre voyage, mais ici, on vous fait croire que c’est vous qui faites vos papiers. Vous êtes doublement arnaqués et vous signez trois mois et vous travaillez pendant cette période sans salaire. C’est donc quand vous arrivez, qu’on vous dit que c’est l’argent que le patron a dépensé pour vous faire venir,  que vous êtes en train de rembourser.  Quand on vous dirige vers les maisons, vous ne verrez plus l’extérieur. On est enfermé dans la maison pendant trois ans.

Est-ce qu’il faut comprendre que les postes d’emploi que l’on propose ici, c’est ce qui est fait une fois arrivé là-bas ?
Il faut préciser que ce sont les marchands de rêve, des vendeurs d’illusions. Qu’ils disent la vérité aux filles, et maintenant à elles de faire leur choix en toute connaissance de cause.  On vous dit que vous allez travailler de 7h à 20h, c’est faux.  Je suis en communication avec les filles qui sont encore dans ces pays, qui me disent  qu’elles travaillent 24h/24. Je connais une qui mange dans la poubelle, qui attend les restes des patrons, parce qu’il faut quand même se nourrir. Parfois tu n’as même pas droit au repas. C’est pourquoi je dis, que les filles doivent savoir que dans ces pays, ce n’est pas du bon. Nombreuses sont celles qui sont tuées, certaines ne reviennent pas parce qu’elles n’ont pas leurs papiers avec elles.

D’après les informations que nous avons reçues, on parle de l’esclavage sexuel  qu’en est-il ?
Ce  qui concerne l’esclavage sexuel, je ne suis pas très apte à le dire. Ce que je sais et j’essaye de dire aux filles, c’est que l’aventure vers ces pays du Moyen Orient ce n’est pas le paradis. On frôle la mort.

Qu’est-ce qui explique que ce soit toujours les femmes qui en soient victimes ?
Parce que ce sont  elles qui travaillent dans les maisons. Je ne vois pas un patron engager les hommes pour faire le ménage.  Plusieurs sont violées, et tu ne peux pas dire à la dame que monsieur m’a violée à son absence.  Car ce sera ton arrêt de mort. Quand on regarde l’aspect  matériel, on se dit avec ce que je vais gagner en 3 ans je peux construire un projet. Mais sur le terrain la réalité est tout autre chose.

Quels sont les pays les plus affectés par ce phénomène ?
Les pays les plus touchés en Afrique sont, le Cameroun, le Congo, l’Ethiopie, mais ailleurs on compte aussi les Philippines. En fait, elles viennent de part et d’autre  dans le monde. Ce n’est pas seulement l’Afrique qui est touchée mais certains pays du monde aussi.  Quand je parle des droits de la femme, je sensibilise les femmes pas seulement les Africaines.

Comment est-ce que vous pensez qu’elles peuvent revenir, est-ce que c’est facile ?
Ça ne l’est pas du tout. Quand vous êtes dans ces maisons, vous avez juste droit à un appel par mois, d’environ 5 minutes. Tu n’as pas le droit d’avoir un portable. Tu n’as même pas le droit de communiquer avec les voisins, en quelque sorte, tu es comme un chien en cage.  La seule personne à qui tu parles, c’est le patron. Il pose les questions et tu réponds. J’arrive à entrer en contact avec les filles qui sont dans les familles moyennement bien. Avec qu’elles je vais sur des sites, je poste des publications, j’essaye de sensibiliser et c’est comme ça que j’entre en contact avec  plusieurs d’entre elles.

Comment comprendre que dans un monde aussi ouvert,  qu’il y ait de telles pratiques et que les gens n’en parlent pas. Est-ce à  dire qu’il y a des complicités ?
Je me dis, que c’est un grand réseau, les gens ont peur. Parce que quand on vient de là, on est menacé, on vous dit  que si vous ouvrez la bouche, ils ont des avocats. Vous avez peur, mais il faudrait bien que quelqu’un sensibilise les filles. Je ne vais pas faire la guerre contre ces agences, je sensibilise tout simplement nos sœurs. Qu’elles ne partent pas dans ces pays, car ce sont les vendeurs de rêves. Je sais exactement ce qui se passe dans ces pays et en plus les Libanais sont réputés pour être de mauvais patrons et même ici au Cameroun, on le sait. Il y a plusieurs filles qui ont été tuées parce qu’elles ont réclamé leurs salaires.
 
Vous ne voyez pas la complicité des européens dans tout ça ?
Lors du colloque à Yaoundé le 3 mars dernier, quand l’on parlait de la traite des personnes, l’on a vu la présence de l’ambassadrice de la France qui nous a beaucoup soutenus. On a vu une agence  de recrutement de fille pour ces pays s’ouvrir à Yaoundé. Et il y en a également ici à Douala. Ils vendent ces jeunes filles dans ces réseaux  d’esclavage.

Quelle est la responsabilité de l’Etat du Cameroun dans tout ça ?
Je me dis, que nos Etats ne protègent pas ses ressortissants. Quand vous regardez sur Internet on vous parle des Africaines qui ont été tuées au Liban. Vous voyez cette Ethiopienne qui a été tirée du consul et trainée dans une voiture et  qui s’est  finalement suicidée. Je dis que nos diplomates ne   protègent pas assez les ressortissants.  Si par exemple un Américain se retrouve au Cameroun, et qu’il lui arrive un malheur, ça va faire bouger le monde. Pourtant dans ces pays, les Africaines sont tuées au quotidien. Et malheureusement ça n’émeut personne.

Vous pensez que le mal est si profond ?
Oui la blessure est profonde, parce qu’il y a des vies en jeu. Et comme elle ne peut pas être soignée de l’extérieur, il faut toucher dès la racine.

© La Nouvelle Expression : Propos recueillis par Lucienne Wouassi

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