Burkina Faso. Au nom de Thomas Sankara
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Burkina Faso. Au nom de Thomas Sankara

Mariam, la veuve du président burkinabé assassiné en 1987, plaide pour une commission d’enquête sur les responsabilités françaises.

Mariam Sankara n’aime pas s’exposer publiquement. Si elle accepte de le faire, c’est parce que son combat pour la vérité et la justice l’exige. Ce jour-là, elle séjourne brièvement à Paris. Pour une entrevue avec les députés André Chassaigne, Marc Dolez (Front de gauche) et Cécile Duflot (Europe Écologie-les Verts). Avec Me Bénéwendé Stanislas Sankara, avocat de la famille et candidat du camp sankariste à l’élection présidentielle d’octobre, elle a défendu la levée du secret-défense et plaidé, au Palais-Bourbon, pour la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les responsabilités de Paris dans l’assassinat de Thomas Sankara. Demandes écartées d’un revers de main par le député (PS) François Loncle, président du groupe d’amitié France-Burkina Faso à l’Assemblée nationale. « Ce n’est pas le rôle de l’Assemblée de bâtir une commission d’enquête parlementaire sur des événements qui datent d’une trentaine d’années et qui concernent un pays étranger. Il y a là confusion des genres », biaise l’élu socialiste. En clair, il faudrait s’abstenir de remuer le passé…

Un inlassable combat pour la justice et pour la vérité

Incorruptible, pourfendeur du Fonds monétaire international et de la dette odieuse, il était épris de paix, de justice sociale, féministe convaincu, écologiste avant l’heure, anti-impérialiste. L’implication des réseaux françafricains dans l’élimination de ce révolutionnaire dont les choix dérangeaient l’ex-puissance coloniale, comme ses affidés dans la sous-région, ne fait aucun doute. Avec la chute de Blaise Compaoré, chassé du pouvoir à l’automne 2014 par une insurrection populaire, les procédures judiciaires engagées par la famille Sankara ont enfin trouvé écho à Ouagadougou. Les dépouilles présumées du « Che africain » et de ses compagnons ont été exhumées pour les besoins de l’enquête. « Mariam Sankara et ses enfants ont porté plainte il y a dix-huit ans. Corrélativement à cette action judiciaire, le peuple burkinabé s’est engagé dans une lutte politique. Celle-ci n’est pas sans lien avec l’implication de Blaise Compaoré dans ce lâche assassinat, explique Me Bénéwendé Sankara. L’insurrection a porté haut l’héritage du président Sankara. Dans ce contexte, l’ordre de poursuites, longtemps refusé par l’ancien régime et émis par l’actuel ministre de la Défense, est un acte politique fort. Le dossier a été confié à un tribunal militaire. Mais nous attendons de cette instruction qu’elle débouche sur des interpellations, des arrestations, des inculpations. Les auteurs présumés de cet assassinat doivent rendre des comptes devant la justice. »

Mariam Sankara a quitté le Burkina Faso en 1988. Les premiers temps, elle croyait cet exil forcé de courte durée. « Je défaisais à peine mes valises, pensant chaque jour pouvoir rentrer le lendemain », murmure-t-elle. Puis les années ont passé. Le temps semblait glisser sur Blaise Compaoré et ses basses œuvres dans toute l’Afrique de l’Ouest. La veuve du président assassiné est retournée le 14 mai au pays des hommes intègres. « À la joie de rentrer se mêlait une angoisse, une peur que je ne m’explique pas. Les nuits précédentes, je ne pouvais pas fermer l’œil. Je suis arrivée à Ouagadougou épuisée », confie-t-elle. Comme si ce retour permettait de tourner définitivement la page de l’ère Compaoré, Mariam Sankara a reçu un extraordinaire accueil populaire. « C’était avant tout un hommage au président Sankara. Toutes ces personnes exprimaient en fait une certaine nostalgie de ce qu’il a réalisé, de ce qui a été accompli pendant la révolution », analyse-t-elle. Pour l’élection présidentielle, elle soutient sans réserve Me Bénéwendé Sankara et sa volonté de « restaurer l’autorité de l’État, lutter contre l’impunité, combattre la corruption ». Sans doute attend-elle que cette échéance cruciale soit passée pour se réinstaller définitivement au pays. En attendant, Mariam Sankara observe avec attention « l’effet Burkina », qui ébranle, sur le continent, d’autres satrapes accrochés au pouvoir. « Nous sommes dans un monde qui change, la jeunesse n’accepte plus d’être opprimée. Les Burkinabés ont eu la force et le courage de dire non à un système. Malheureusement, dans de nombreux pays, les jeunes se heurtent à des murs. Il est normal qu’ils s’inspirent de l’exemple du Burkina Faso ! On a parlé d’un printemps arabe. C’est certainement le printemps de l’Afrique qui s’annonce aujourd’hui ! »

Elle a dans le regard quelque chose de bienveillant. Mariam Sankara parle d’une voix douce, sûre, enveloppante. Elle est d’une élégance discrète, se tient très droite. Depuis bientôt trente ans, elle est debout. Sa voix s’éraille un peu, pourtant, lorsqu’elle fait le récit des jours d’après. Après l’assassinat de son mari, le président du Burkina Faso Thomas Sankara, abattu le 15 octobre 1987 lors du coup d’État qui porta Blaise Compaoré au pouvoir. Mariam Sankara se souvient des vitres brisées de la Renault 5 que le président avait troquée contre les voitures de luxe de ses prédécesseurs. Elle entend encore le vacarme des pierres malveillantes jetées sur les fenêtres du modeste domicile familial. Elle se remémore, avec douleur, les menaces proférées, à l’école, contre ses deux enfants. Après, il y a eu la fuite, l’exil, d’abord au Gabon, puis en France, à Montpellier. « À Libreville, aucun avenir ne pouvait s’ouvrir à nous. Je voulais reprendre des études, ce que j’ai fait en suivant un cursus dans le domaine du développement rural. Je voulais rester proche du monde paysan », explique-t-elle en souriant.

© humanite.fr : ROSA MOUSSAOUI

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