L’Afrique contre elle-même : une ivresse névrotique du pouvoir à vie
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L’afrique Contre Elle-Même : Une Ivresse Névrotique Du Pouvoir À Vie :: Africa

La grammaire de la transition politique en Afrique se mue en grammaire funèbre, résultante logique de régimes prédateurs dans la conquête, l’exercice et la conservation du pouvoir. Comment le pouvoir à vie et l’assassinat d’Africains peuvent-ils prendre racine dans un continent si averti via son histoire des désastres humains d’un pouvoir qui omet de servir la vie ?

Des cadavres sans propriétaires jonchent des ruelles ravinées des bidonvilles. Les visages hagards de soudards à la gâchette facile sont les maîtres de ces lieux orphelins de vie. La chasse à l’homme va jusque dans les hôpitaux où le soin est battu au sprint par la mort déchaînée. Le désarroi de mamans africaines désorientées baluchons sur la tête et bébés agrippés à califourchon sur les dos meuble la scène d’une Afrique folle. Les allées et devantures de maisons sont tartinées d’un sang humain témoin d’un Bujumbura où le staccato de la kalachnikov remplace les chants des grands lacs. Une population courageuse revendique pourtant son droit de faire son histoire malgré le sifflement des balles qui fendent l’atmosphère de la terre nègre. Ce ne sont pas là des effets d’un groupe terroriste adepte d’une violence aveugle mais bien quelques coordonnées du visage politique qu’offre le Burundi depuis quelques jours. La cause de ce visage politique macabre est typiquement africaine. Elle témoigne d’une Afrique contre elle-même. Une Afrique où la crédibilité des armes surgit constamment des casernes pour occuper l’espace public suite à la faillite de la crédibilité des hommes. Une Afrique où la barbarie de ses fils évince le différentiel entre l’homme africain et la bête de somme. Qu’est-ce qui peut l’expliquer ? De quel ressort ce tableau est-il la matérialisation de la force ? Quel diable habite donc l’Afrique et fait d’elle son propre adversaire ?

* De la fête de l’« Uhuru » aux désillusions des peuples

Une fois de plus un Africain s’agrippe au pouvoir comme spider man à sa toile dans un jeu vidéo, sauf que là, c’est une téléréalité grandeur nature. Encore une fois un Africain refuse de respecter la loi, c'est-à-dire sa société. Encore fois, un leader au pouvoir piétine le droit, c'est-à-dire la liberté. Encore une fois, un homme est prêt à faire couler le sang de ses compatriotes pour satisfaire la tyrannie de ses désirs personnels et égoïstes. Encore une fois, c’est lors du mandat qui vient, le mandat de trop, que chaque président Africain compte faire des miracles pour développer son pays alors que dix, vingt ou trente ans passés au pouvoir n’ont très souvent été ponctués que de médiocrité et d’incomptables incuries : la garantie et la clé du succès de la gouvernance africaine est toujours dans le mandat de trop, le mandat anticonstitutionnel, le mandat interdit, le mandat qui a le sang de ses compatriotes pour mortier. Conséquence, l’industrie politique africaine est une industrie de la honte et de la mort depuis 1960. La honte quand, à l’instar de Mobutu, Ben Ali, Moubarak ou Campaoré, on préfère « le coup de pied au cul » à un départ dans la dignité. Et la mort lorsque le moment de la transition se solde en cadavres d’Africains, marchepieds de régimes négateurs de la vie humaine.

En dehors de quelques cas qui sortent de l’ordinaire, la fin constitutionnelle du règne d’un régime africain vire constamment en violence paroxystique et sauvage au lieu d’être un moment où le leader dit au revoir à sa population et cède la place à un autre Africain pour la suite du travail de construction du continent. La grammaire de la transition politique en Afrique se mue en grammaire funèbre, résultante logique de régimes prédateurs dans la conquête, l’exercice et la conservation du pouvoir. Contre l’Afrique et finalement contre elle-même dans son ivresse du pouvoir, l’élite politique, militaire, intellectuelle et traditionnelle au pouvoir depuis les indépendances reste une énigme. On se serait attendu à ce qu’elle s’attèle corps et âmes à sortir le continent noir des situations internes et externes de tutelle afin que les Africains et l’Afrique redeviennent maîtres d’eux-mêmes. A tout le moins, il

aurait été psychologiquement normal que des fils et les filles d’un continent si humilié, spolié et abêti par l’entreprise coloniale mettent un point d’honneur à faire du pouvoir exécutif le ferment d’une esthétique du pouvoir refondatrice de l’Afrique dans sa dignité. Cela reste un vœu pieux congelé depuis 1960 au stade d’une simple projection onirique d’une Afrique débout imaginée dans l’enthousiasme exubérant des indépendances formelles fêtées en chœur avec emphase comme le moment tant attendu de l’« Uhuru ».

S’il est vrai que les anciennes puissances coloniales n’ont pas facilité la tâche aux nouveaux leaders africains, il est indiscutable, plus de cinquante ans après l’Etat-colonial, que l’Afrique se saborde. Elle serait un bateau qu’elle se coulerait elle-même en se précipitant volontairement dans les récifs coralliens. Elle serait le Titanic qu’elle irait volontairement dans l’iceberg. Le moins que l’on puisse dire est que l’Afrique est contre elle-même car ses fils qui la dirigent depuis 1960 ont, en dehors de quelques exceptions qui confirment la règle, posé des actes qui ne démontrent ni le moindre amour pour elle, ni le moindre sérieux pour restaurer sa grandeur, ni le moindre sentiment compatissant à l’égard de leurs compatriotes. Les Africains gèrent l’Afrique avec désinvolture, sans vergogne, sans altruisme, sans amour pour elle et sans éthique de responsabilité. Ils la dirigent imbibés d’un égoïsme légendaire qui fait du pouvoir à vie la norme de gouvernance la plus partagée et dont l’objectif est l’enrichissement personnel au service d’une jouissance subséquente.

Comment peut-on expliquer que les descendants de 50 millions d’Africains déportés par le commerce triangulaire, que ceux dont le continent a été dépecé et partagé en leur absence à Berlin en 1884, que ceux dont les pères et les mères ont été victimes du code de l’indigénat et des brimades atroces du complexe colonial aient eu comme descendances politiques les Mobutu, Macias Nguéma, Bokassa, Idi Amin Dada, Ahmadou Ahidjo, Omar Bongo, Hissen Habré ou encore Samuel Ndo, Paul Biya, Eyadema, Kabila-fils et Kurunziza ? Comment le pouvoir à vie et l’assassinat d’Africains pour garder le pouvoir peuvent-ils prendre racine dans un continent si averti via son histoire des désastres humains d’un pouvoir qui omet de servir la vie ?

* Le syndrome de Stockholm et la reproduction mimétique de la prédation

C’est le cas de le dire, en dehors des effets d’aubaines liés aux conjonctures internationales favorables aux termes de l’échange des matières premières, le continent africain a été grosso modo mis dans l’état d’une boutique de porcelaine après le passage d’un troupeau d’éléphants. Si encore en exercice Mobutu accumula une fortune supérieure à la colossale dette de son pays, Idi Amin Dada est un cas d’école en termes d’égarement, de bouffonneries et de violence aveugle dont font preuve plusieurs Africains à la tête de leur pays. Une explication de la dérive médiocre et meurtrière de la première génération des leaders africains dont Mobutu et Idi Amin sont les figures archétypales, peut résider dans le fait que la victime d’un traumatisme du rang de l’Etat-colonial peut avoir pour résultat paradoxal l’admiration et la défense de son bourreau. Big Dada était fasciné par les Britanniques qu’il servît et Mobutu par le roi Baudouin jusque dans la gestuelle lors de ses prestations de serment. Ce mécanisme-là serait une des explications de la reproduction mimétique de la prédation du pouvoir colonial par d’anciens colonisés admirateurs inconscients de leurs anciens maîtres érigés en modèles de gouvernance.

Une telle explication, malgré sa pertinence, n’est pas moins accommodante et dangereuse pour l’Afrique parce qu’elle rejette encore une fois la faute aux Occidentaux. Elle nous réconforte dans un statut de victime qui ferme les yeux sur sa responsabilité. Sans omettre la responsabilité des puissances coloniales jamais véritablement parties, la génération de leaders qui a suivi celle des Mobutu et Idi Amin ne peut pas évoquer le syndrome de Stockholm pour expliquer ses incartades et turpitudes au pouvoir. Les Charles Taylor, Campaoré, Eyadema-fils, Sasou Nguesso, Paul Biya, Kabila-fils et bien d’autres ne brillent pas par le respect de la norme suprême de leur pays. Ils ont pourtant vu la trajectoire chaotique imprimée à l’Afrique par leurs devanciers mais reproduisent à la lettre les mêmes chemins dans l’exercice d’un pouvoir africain qui continue d’être au service de la mort tous azimuts. Cette seconde génération de présidents incarne toujours une Afrique contre elle-même malgré le fait qu’elle ne fût pas directement victime de l’arbitraire colonial. A ce stade la responsabilité est totalement africaine car ce ne sont pas les Occidentaux qui demandent à Kurunziza de tuer les Burundais pour le pouvoir. Ce ne sont pas les Occidentaux qui demandent à Kabila-fils de convoquer nuitamment les députés pour changer une Constitution qui lui interdit un mandat supplémentaire. Ce ne sont pas les Occidentaux ou la colonisation qui font de la Constitution gabonaise, algérienne, camerounaise ou congolaise un paillasson mais bien des Africains n’ayant majoritairement pas connu directement la colonisation.

* Césarisme sans César, capitalisme sans capitalistes, démocratie sans démocrates et panafricanisme sans panafricanistes

Avec les indépendances l’élite politique africaine avait un projet politique en or. Celui de refaire l’histoire du continent via une utopie critique consistant à créer l’Africain nouveau acteur de son histoire et moteur d’une renaissance africaine à laquelle devait s’atteler tous les projets politiques nationaux et panafricains. Cette utopie critique a un incontestable fondement historico-scientifique et peut faire l’histoire en servant de boussole, de ligne de mire et de balisage à un renouveau africain car des peuples sans utopies sont des peuples atones parce que sans défis à surmonter, sans stimulants pour l’action et sans antidotes à certains désastres de l’histoire : c’est l’utopie critique qui rachète l’histoire et apporte un nouveau souffle de vie et d’espoir au monde.

De nos jours force est de reconnaître que les effets contemporains de l’histoire traumatique semblent assez robuste lorsqu’à la responsabilité des Africains au pouvoir, s’ajoute une aliénation inconsciente du continent tout entier. Tous les chefs d’Etat africains, et le Burundais Kurunziza en constitue l’incarnation la plus actuelle, semblent vouloir instaurer un Césarisme dans un continent qui n’a jamais connu de César. Le rêve d’un Césarisme sans César n’est-il pas aussi le résultat d’une aliénation qui renforce le constat que « le colonisé admire et déteste à la fois le colonisateur ». Ce que dit Albert Memmi via le portrait du colonisé et du colonisateur peint de fort belle manière les leaders africains contemporains à la fois revendicateurs de souveraineté et copieurs invétérés de figures de gouvernance extra- africaines. La preuve, Bokassa dans sa folie des grandeurs ne prit par exemple pas le titre de « grand Kan Kan Moussa africain » mais celui d’empereur Bokassa Ier, rêve africain d’un Césarisme sans César. Mobutu n’est pas devenu un « Mwami », grand roi du Congo, mais le seul et unique Maréchal du Zaïre. Rêve d’un pétainisme tropicalisé par Kiku Wendu Waza Banga ? Seul Kadhafi, porteur d’un panafricanisme ambitieux, s’est fait intronisé roi des rois africains en référence aux royaumes africains d’où le processus démocratique peut tirer des éléments positifs même si, comme bon nombre de ses pairs, Kadhafi incarna une Afrique schizophrénique en ce sens que ses leaders exaltent un discours démocratique sans être des démocrates. Il en résulte que le projet panafricaniste initié par l’âme immortelle des diasporas africaines et porté de mains de maîtres par de grandes figures comme N’krumah a déserté le champ politique et économique africain. Il n’est plus qu’un appendice maintenu en vie par quelques universitaires et organisations périphériques à la gouvernance africaine alors qu’une Afrique qui tue des Africains et transforme le pouvoir en un instrument de mort a besoin de retrouver son âme solidaire profonde afin de se débarrasser du diable en elle, c'est-à-dire de l’ange de la mort avide de pouvoir qu’est devenue sa modernisation politique et économique ratée.

Une Afrique folle car administrée par des schizophrènes est en train de transformer la solidarité africaine en une fausse légende dont se moque le monde alors que « l’Ujama », grande famille africaine, en constitue une réalité historique incontestable. De là une autre idée qui peut expliquer la perte de repères des peuples et de leur dirigeants. L’idée d’une Afrique perdue et sans repères éthiques dans un capitalisme africains sans capitalistes africains. L’Afrique profonde eut bien entendu un éthos économique particulier en dehors de l’utilitarisme véhiculé aujourd’hui par un capitalisme africain bâtard parce que fille aînée du complexe colonial. L’utilitarisme du pouvoir qui anime le besoin du pouvoir à vie des présidents africains fait du pouvoir un instrument personnel d’assouvissement de ses plaisirs sans se préoccuper de « l’Ujama » où l’homme économique n’a jamais été un robot sans attaches sociales, sans sentiments et sans solidarité altruiste. Du coup le capitalisme africain devient irrationnel parce que ne reposant pas sur une méthode préalable de production des biens et de services afin que l’Afrique travaille pour elle-même et non contre elle-même. Sans surprise, être au pouvoir en Afrique devient donc par défaut le lieu de manifestation de l’utilitarisme économique car cela revient à accumuler de la richesse même en marchant sur les morts de ses compatriotes car c’est la fin qui justifie les moyens : le capitalisme se nourrit de vices et le vice de dominer les autres par le pouvoir est un plaisir. Vouloir faire du capitalisme sans éthos capitaliste historiquement installé fait que le pouvoir politique devienne le principal canal d’accumulation, une affaire florissante qui transforme le peuple en armée de réserve.

Le néocolonialisme occidental comme principale source des maux africains devient de ce fait une belle excuse pour une Afrique qui choisit la fuite en avant au lieu de se regarder en face car l’Afrique se coule elle-même et ce sont ses fils au pouvoir qui creusent sa tombe. Ce sont ses fils au pouvoir qui ne construisent pas une Afrique entrepreneur d’elle-même.

© Correspondance : Thierry AMOUGOU, Animateur et Fondateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions, Economiques, Sociales et Politiques. cercle_crespol@yahoo.be

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