Assemblée nationale du Cameroun: Dans la mafia des marchés publics
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Assemblée nationale du Cameroun: Dans la mafia des marchés publics :: CAMEROON

Des prestataires de services non payés depuis deux ans. Le budget d’investissement utilisé à d’autres fins. Des marchés attribués aux entreprises fictives appartenant aux députés reconvertis dans les affaires, le temps d’une mandature. Des contrats avantageux attribués au cercle familial du maître de céans. Au perchoir depuis une vingtaine d’années, le «Très Honorable» Cavaye Yeguié Djibril fait face à une fronde qui l’accuse de gabegie.

Voici près de deux semaines, des changements de responsables sont intervenus à l’Assemblée nationale du Cameroun. Les 07 et 08 mai dernier, Cavaye Yéguié Djibril, le président de l’auguste chambre, a en effet signé une série d’arrêtés portant nominations de cadres dans certains services clés de l’hémicycle de Ngoa‐Ekellé. Ont été touchés: les services des questeurs et le secrétariat général. 

Au sein des premiers, de nouveaux visages ont pris les rênes du contrôle général des services, la cellule d’organisation et méthodes, la division du contrôle de la solde et des actes administra‐ tifs et la division du contrôle du budget et du patrimoine. Les mouvements dans le second sont essentiellement observables à la direction de la législation et des affaires linguistiques, à la sous‐direction de la procédure législative et à l’agence comptable. Dans leur grande majorité, les anciens titulaires des postes ont tout simplement été «appelés à d’autres fonctions». 

Sur le papier donc, pas facile de remarquer la tonalité enflammée des actes du président de l’Assemblée nationale (PAN). Selon nos sources, Cavaye Yéguié Djibril a décidé de procéder à une refonte administrative après avoir piqué une grosse colère vis‐à‐vis de certains de ses collaborateurs. 

Ces derniers, apprend‐on de source proche du ca‐ binet du PAN, payent le prix de nombreuses fuites d’informations observées ces derniers temps. La même source parle d’«une surenchère de ragots relatifs à l’attribution, l’exécution et le paiement des prestations à des privés d’une part, et à la consommation du budget d’investissement public ainsi qu’à l’honneur du PAN d’autre part».

Lobby

C’est donc une raison plus pro‐ fonde et impétueuse qui a motivé le PAN dans ses choix. Dans son cabinet, la version émergente insiste sur l’existence d’un lobby prospérant sans vergogne sur le dos du patron de l’Assemblée nationale. Il s’agit, précise‐t‐on, «d’une frange constituée d’éléments mobilisés en nébuleuse composite, mais décidée à faire entendre sa voix». Beaucoup sont d’ailleurs persuadés que dans sa démarche mue par des intérêts diffus, ce lobby a choisi d’exploiter à son avantage les mécontentements des prestataires des services. Depuis, «le manège culmine avec l’agacement de nos partenaires privés», reconnait un fonctionnaire nouvellement promu aux services des questeurs. 

Au sommaire de ces horizons brouillés avec les prestataires des services, figurent des histoires d’attribution des marchés et le manque d’objectivité dans les paiements. Dans les lambris du palais de l’Assemblée nationale, notamment au secrétariat général et au cabinet du PAN, l’on est convaincu de l’existence d’un lien entre quelques anciens fonctionnaires des services des questeurs et les prestataires de services. 

D’ailleurs, on s’interroge par exemple sur le «comment est‐on au courant de ce qu’un partenaire (ARNO,NDLR) a été payé cash à hauteur de 14 millions pour refaire la climatisation de la salle des plénières? Comment des personnes étrangères à l’hémicycle peuvent‐elles être au courant des procédures confidentielles d’octroi des marchés?» Dans cet univers de suspicion mêlée de médisance, un personnel précédemment en poste dans les services des questeurs et «appelé à d’autres fonctions» par le PAN est direct face aux journalistes: «le problème des paiements à deux vitesses à l’Assemblée vient surtout d’une réticence évidente à appliquer les règles modernes de management.

On a plus affaire à des principes administratifs complexes et contradictoires». 

Un autre tente de fournir un tableau plus complet de la ma‐ fia: «le budget d’investissement public de l’hémicycle est utilisé à d’autres fins de sorte que l’agent comptable ne peut véritablement pas répondre de l’orientation donnée aux fonds». Il ajoute que «la commercialisation des contrats courant entre certains prestataires et l’agence comptable; et cela parce que des dé‐ putés sont eux‐mêmes des prestataires déguisés en parlementaires…

L’Assemblée ferme les yeux sur cela et c’est dommage quand on sait que les prestataires de services n’ont pas été payés et qu’on les accroche uniquement à des lambeaux d’espoir».

Lignes de défense 

S’il est une polémique qui enfle et que certains brandissent à tout propos, c’est celle relative à un voyage. Celui qu’aurait effectué l’une des épouses de Cavaye Yéguié Djibril vers Hanoi en mars dernier. «C’était aux frais de l’Etat que cette dame a voyagé», soutient un questeur «déchu». Lequel ajoute que c’est par le biais du directeur des affaires générales(DAG) de l’Assemblée nationale.

Cyriaque Esseba s’en défend: «Aucune épouse du PAN ne faisait partie de la délégation camerounaise lors de la 132e session du secrétariat exécutif de l’Union interparlementaire tenue à Hanoi du 25 mars au 04 avril 2015. Cela est vérifiable sur les fichiers de l’émi‐immigration et des aéroports du Cameroun». À en croire le DAG à qui d’autres basses manœuvres sont attri‐ buées, «ce n’est qu’un spectre monstrueux que certains utilisent pour accabler le Très Honorable Cavaye Yéguié Djibril et ma modeste personne». Pour celui qui revendique neuf ans au poste, les procédures de passation des marchés au palais de verres de Ngoa‐Ekellé sont régies par une direction des services techniques. Laquelle est, précise Cyriaque Esseba, coiffée par une commission des marchés composée de douze (12) membres. Se référant à l’organigramme de la chambre basse du parlement camerounais, il indique qu’en sa qualité de DAG, il ne siège même pas au sein de ladite commission. Pour Cyriaque Esseba, il est proprement possible de comprendre pourquoi les paiements ne suivent pas les prestations de services. «Tout cela tient, dit‐il, aux exigences et même aux aléas de trésorerie. D’habitude, tous les paiements se font en toute transparence… Je comprends que les par‐ tenaires qui exécutent des marchés ici soient aspirés par la colère, je comprends leur gêne et leur déni». A cette attitude compassionnelle, Cyriaque Esseba associe néan‐ moins une cabale orchestrée par un «ancien partenaire aigri ayant voulu transformer l’hémicycle en arène libidineuse».

© Integration Hebdo : Jean‐René Meva’a Amougou

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