Cameroun,les menaces à l’unité nationale: La longévité de Paul Biya au pouvoir
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Cameroun,les menaces à l’unité nationale: La longévité de Paul Biya au pouvoir :: CAMEROON

33 ans au pouvoir ont-ils entamé la cohésion nationale ? Les partisans du chef de l’Etat affirment que sa longévité au pouvoir n’est pas  synonyme de dictature, de despotisme et d’immobilisme, à l’opposé de ses contempteurs pour qui ces maux sont bien une réalité qui menace l’Unité nationale.

Bientôt 33 ans que Paul Biya est le président de la République du Cameroun, poste auquel il accède officiellement le 6 novembre 1982 après la démission d’Ahmadou Ahidjo. Il faudra attendre 10 ans après son accession au pouvoir pour que les premières élections multipartites de son ère, en 1992, le désigne vainqueur grâce à une courte majorité.  Depuis lors, en 23 ans, il a successivement remporté l’élection présidentielle en 1997, en 2004 puis la dernière en 2011, des scrutins dont la transparence a été critiquée par l'opposition et la communauté internationale. 

2008 est une étape décisive dans ce parcours, c’est l’année de la modification de la constitution avec comme cible la rupture du verrou de la limitation des mandats qui empêchait le président de se présenter à l’élection présidentielle de 2011.

Les principales raisons avancées par ses partisans, comme dans la plupart des pays africains qui ont opté pour l’aventure d’une modification de la Constitution taillée sur mesure sont presque invariables, une rengaine déjà bien connue : le besoin de stabilité, la nécessité de poursuivre une oeuvre inachevée et la réponse à une demande populaire. 

En clair, au-delà de la nécessité d’aller au bout de chantiers entamés et la contrainte de répondre à l’appel « pressant » de ses compatriotes, la longévité de Paul Biya au pouvoir répondrait aussi à un besoin de stabilité.

Dans un bilan des trente ans du chef de l’Etat au pouvoir signé Martin Belinga Eboutou, directeur du cabinet civil de la présidence de la République, dans le mensuel bilingue d’informations, Le Temps des réalisations, il s’étonne d’un « étrange débat» où tout tourne autour de la longévité du président au pouvoir et martèle qu’au Cameroun, « longévité n’est pas synonyme de dictature ou de despotisme, que longévité n’est pas synonyme d’immobilisme.»

Martin Belinga Eboutou va plus loin et livre une clé de lecture de cette longévité : «Avec un homme aussi calme,ferme et rassurant, le peuple se sent en sécurité. Cette valeur de tolérance, qui revient de manière récurrente dans son discours, traduit l’attachement du président Paul Biya à la paix. Elle révèle en même temps le secret de sa longévité politique. 

Le Peuple camerounais se reconnaît dans le tempérament de cet homme. La tolérance chez Paul Biya est une marque d’humanisme où la fermeté est la clé du succès des engagements politiques. Voilà pourquoi les trente années déjà écoulées, depuis son accession au pouvoir, sont des années de paix mais aussi d’espérance politique, grâce auxquelles le bateau Cameroun a franchi tous les obstacles pour se positionner désormais parmi les nations qui aspirent à L’émergence à l’horizon 2035. » Mais un Etat de droit c’est aussi le fait que les dirigeants ne gardent pas le pouvoir éternellement, articulait il y a quelques années Barack Obama, ajoutant que  l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes. 

Blaise Compaoré,ex-président du Burkina Faso,lui répondant,avait rétorqué qu’«il n’y a pas d’institutions fortes,s’il n’y a pas d’hommes forts…Il n’y a pas,aussi, d’institutions fortes, s’il n’y a pas une construction dans la durée. » C’était peu avant la révolte populaire qui l’a renversé.

Clanisme

A l’observation attentive de notre pays et des Camerounais dans leur quotidien, il est difficile de nier que la longévité du chef de l’Etat au pouvoir inquiète. C’est peu de le dire. Une bonne frange des Camerounais sont étreints en silence par l’immobilisme, le despotisme et une forme d’autoritarisme qui tendent à s’installer. 

Les frustrations qui en découlent mettent sans doute à mal la volonté du vivre ensemble, la cohésion sociale, la paix des coeurs, en somme l’unité nationale. 

Pour Anicet Ekanè, ancien président du Manidem, il est évident que la longévité au pouvoir du président Paul Biya constitue une menace pour l’unité nationale dans le sens d’avoir laissé prospérer la métastase du clanisme notamment dans son propre camp : « Lorsqu’on écoute les discours de ses partisans, le fait que Paul Biya soit encore au pouvoir ne les rassure pas.

Tout le monde souhaite l’alternance y compris ceux qui font partie de son propre camp. Le fait d’avoir envoyé plusieurs de ses collaborateurs en prison prouve qu’il existe des clans qui sont préoccupés par cette question d’alternance qui est censée jouer un rôle très important dans le développement de notre pays.Si le président de la République disparait brutalement, notre pays risque d’être plongé dans les affrontements. Je ne pense pas que le président du Sénat pense qu’un jour le mécanisme constitutionnel puisse lui permettre de diriger ce pays comme il est prévu dans la Constitution. Il connaît bien ce régime, notamment caractérisé par des luttes de clan. »

Anicet Ekanè souligne que le prétexte du bilan comme justificatif de la longévité au pouvoir n’est pas pertinent : « Je ne pense pas qu’il faut absolument passer 30 années au pouvoir pour avoir un bilan en termes de construction des ponts et autres édifices publics.

Depuis l’année 2000, on nous a parlé de tous les grands slogans, Santé pour tous, Grandes ambitions, Grandes réalisations et Emergence en 2035. Avec ce dernier slogan, le président veut dire aux Camerounais qu’ils seront heureux lorsqu’il ne sera plus là. Avant la fin de ce mandat, le président de la République a intérêt à trouver un moyen d’organiser la transition. Il doit le faire pour l’intérêt de notre pays. Il ne doit pas craindre pour sa sécurité après avoir cédé le pouvoir, parce que les Camerounais sont prêts à lui accorder plusieurs facilités. »

Le maire Rdpc de la commune de Tonga, dans le département du Ndé, région de l’Ouest, Désiré Raphaël Bitchebe, dit sans réserve que la longévité du chef de l’Etat au pouvoir est un facteur de cohésion et d’unité : « La longévité du chef de l’Etat camerounais, Paul Biya est plutôt aujourd’hui un facteur de paix, d’unité et de cohésion dans notre pays. 
C’est, dit-il, une question à laquelle on ne peut répondre que de manière contextuelle. Est-ce que c’est la même réalité au Burundi, au Burkina Faso ? Ceux qui ont pu être là pour longtemps ont su construire l’unité nationale. Ce n’est pas pour dire qu’il faut que les chefs d’Etat s’éternisent au pouvoir, mais quand on y est déjà, il faut préserver les acquis, mais laisser à ces détenteurs du pouvoir le temps de préparer leur départ pour que l’alternance puisse se dérouler normalement. »

Son camarade de parti, Aboubakar Ali Gona, membre de la section Rdpc Vina Sud 1, région de l’Adamaoua, approuve naturellement : « Nous ne considérons pas la longévité comme une menace à la paix dans notre pays. Je souhaite que vous regardiez autour de nous. Au Rdpc, nous capitalisons cette longévité comme un moyen de développer notre paix. Le président Paul Biya est un apôtre de la paix. Grâce à sa politique, le Cameroun est un havre de paix. Ne perdons pas de vue que le président national du Rdpc est un homme de paix et un défenseur de l'unité nationale. Il consolide cette unité chaque jour et les Camerounais dans leur majorité ont adhéré à sa politique. Il faut être fier d'avoir M. Biya comme chef d'Etat. Il mérite un prix Nobel de la paix, de par son action pour l'unité et la paix dans un continent en perpétuel mouvement », s’emporte le militant.

Décentralisation

Alain Fogué du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc) remet quant à lui sur la table la question des élections en rapport avec la longévité au pouvoir, réitérant que plus qu’autre chose, la réforme totale du processus électoral doit faire l’objet de préoccupation majeure au Cameroun : « La longévité de Paul Biya au pouvoir n’est pas en soi une menace à l’Unité nationale s’il est élu démocratiquement.

Malheureusement, le processus électoral est taillé à sa mesure. Elecam est un instrument entre ses mains, les responsables d’Elecam sont soumis à sa personne quand ils ne sont pas tous ses camarades politiques. Par conséquent, ils décident du résultat des élections avant que celles-ci n’aient été organisées. Dans son propre camp aussi, il criminalise l’ambition de sorte qu’il est devenu suicidaire pour ses partisans d’exprimer la volonté de le succéder à la tête de l’Etat. Dans cet environnement, son maintien au pouvoir est ressenti comme un maintien contre la volonté populaire. Cette configuration peut convaincre ses adversaires les moins forts mentalement ou alors les plus déterminés à considérer qu’il n’y a rien à attendre du processus électoral et par conséquent les conduire à inventer les solutions qu’ils jugent à même de faire évoluer la situation. Pour que la longévité ne soit pas une menace à l’Unité nationale, il faut une réforme totale du processus électoral actuel. »

Et parmi quelques-uns des éléments les plus visibles de cette menace réelle, il est loisible de constater la montée fulgurante des revendications à caractères identitaires dans notre pays, on enregistre même des appels assumés, de plus en plus nombreux, à une modification de la forme actuelle de l’Etat, et pourtant le projet de décentralisation amorcé depuis plusieurs années a été plombé de l’intérieur par ceux-là même censés le mettre en oeuvre. Une forme d’impasse.

© Le Jour : Claude Tadjon

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