Insertion professionnelle : Le long chemin des jeunes vers l’emploi
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Au Cameroun, après de longues études, les jeunes diplômés cherchent pour la plupart, du travail en vain. Malgré les difficultés, certains finissent par créer leur propre entreprise.  

Lorsqu’il entend les mots « jeune et travail », il vous observe longuement. Un demi-sourire adoucit alors son visage marqué par la fatigue. « Je cherche le travail depuis 2012, juste quelques mois après l’obtention de ma licence », lâche-t-il en vous regardant droit dans les yeux. « J’ai déposé plus de 50 demandes d’emploi et j’ai seulement été appelé deux fois pour un entretien d’embauche qui n’a pas abouti », poursuit le jeune homme âgé de 30 ans, en caressant, l’air ailleurs, sa barbe naissante. Sac au dos, il arpente le couloir bondé d’autres jeunes, du Fonds national de l’emploi (Fne). Ce vendredi, Thierry espérait comme depuis trois années déjà, qu’une offre d’emploi allait correspondre à son profil.

Pour la énième fois, la déception est grande. « Je rentre sans rien», souffle le jeune homme, malheureux. Trois fois par semaine, Thierry, titulaire d’une licence en Télécommunications et réseaux, se rend au bureau régional du Fne, situé au quartier Bali à Douala, capitale économique du Cameroun, avec l’espoir de trouver « enfin » un emploi dans cette institution étatique spécialisée dans la promotion de l’emploi, la formation professionnelle et le financement des projets. « J’ai déjà 30 ans. L’âge avance et j’ai besoin d’une stabilité dans ma vie professionnelle pour pouvoir mieux appréhender mon futur », s’inquiète cet ancien pensionnaire du lycée technique de Maroua. Depuis deux mois, il « se débrouille », avec un salaire de misère, dans une petite entreprise informatique qui fait dans la vente des imprimantes, la fabrication des cartes et prestation de service informatique. Mais, tout est précaire, précise-t-il et la société peut fermer d’un moment à l’autre.

Diplômé et sans emploi

Dans un pays où plus de la moitié de la population est constituée des jeunes, des cas comme celui de Thierry sont légion. « Au quartier Oyack où je vis, j’ai au moins 11 amis, titulaires d’un Bts qui ne font rien », affirme Thierry. D’après les statistiques du Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam), principal patronat du pays, sur 10,3 millions d’actifs au Cameroun, seulement 9,5 %, soit un peu plus d’un million de jeunes diplômés sont employés dans le secteur formel, 3,7% dans le secteur formel privé et 25,8% dans le secteur formel public. Lors de son traditionnel discours à la jeunesse prononcé le 10 février 2015, Paul Biya, président de la République, a annoncé aux jeunes suspendus à ses lèvres comme toujours depuis plus de 30 ans, que 350 000 emplois allaient être créés pour les jeunes d’ici la fin de l’année 2015.

Une promesse qui fait sourire Aïcha, titulaire d’un Brevet de technicien supérieur (Bts) en tourisme. « Ce n’est qu’une promesse parmi tant d’autres, s’emporte la jeune femme âgée de 26 ans. Rien n’est nouveau dans son discours. Ce ne sont que des paroles ». Elle parle le ton plein de colère. Aïcha confie que depuis l’obtention de son Bts il y a six ans, elle a déposé 23 demandes d’emploi, sans suite. Cette jeune femme orpheline de père, explique qu’après son diplôme, elle a d’abord fait une formation en informatique durant six mois, question pour elle de maximiser ses chances. Elle a par la suite déposé ses dossiers dans des agences de voyages à Douala et Yaoundé, sans obtenir « un seul rendez-vous d’entretien ». Découragée, elle se tourne alors vers d’autres secteurs comme l’agroalimentaire sans  succès.

Après sa maîtrise en Physique obtenu à l’université de Yaoundé en 2002, Alain Félix a participé « au moins sept fois » au concours de l’Ecole normale de Yaoundé pour être enseignant. « Après mon baccalauréat D déjà, j’ai commencé à préparer ce concours sans succès », raconte l’homme âgé de 35 ans. Alain Félix est aujourd’hui enseignant dans un collège privé. Son 3ème établissement. « Le principal du 1er collège où j’ai enseigné me doit six mois d’arriérés de salaire. Le 2ème me payait à comptegouttes. J’ai vu mieux au 3ème collège où je me trouve actuellement », dit-il. Alain Félix a dépassé l’âge de faire des concours pour entrer dans la fonction publique. Père de deux enfants, il vit dans un studio avec sa compagne. Son rêve ? Construire au moins une maison et y vivre jusqu'à la fin de ses jours.

Success Story

« Il faut former des créateurs d’emplois et non des demandeurs d’emplois », disait Henri Fotso, le 10 avril 2014, lors d’une rencontre entre une délégation de 42 députés de l’Assemblée nationale du Cameroun et des hommes d’affaires au siège du Gicam au quartier Bonanjo à Douala, pour trouver des solutions au chômage des jeunes. Le conseiller du Groupement inter patronal du Cameroun expliquait alors qu’en procédent ainsi, les jeunes, sortis des universités et grandes écoles, devaient s’investir dans leur propre business et créer par la même occasion des emplois. Une stratégie plusieurs fois vantée par les hommes d’affaires du Cameroun, mais, difficile à appliquer.

« Même dans des universités dites privées où on choisit des spécialités, on est plus axé sur la théorie. La pratique est toujours négligée. Voilà un grand frein à l’entreprenariat au Cameroun », assure un jeune Pdg d’une Pme. Malgré ces difficultés, de nombreux jeunes Camerounais osent et créent leur entreprise. Ghislain Nyamfit est le Président directeur général de la Nng, une entreprise spécialisée dans la sécurité informatique. Avant d’y arriver, le jeune homme a rencontré de nombreux obstacles sur son chemin. Après son master II en Réseaux et télécommunications, il fait un stage de six mois dans une entreprise de téléphonie mobile au Cameroun. Après cet épisode, il crée une application mobile avec des amis et va vers une banque solliciter un prêt bancaire pour développer une entreprise. On lui fait alors comprendre que le « projet est bien, mais, qu’il est trop jeune ».

Le responsable qui le reçoit ce jour-là lui demande d’aller encore se former. Ghislain rassemble de l’argent et s’envole pour les Etats-Unis où il obtient deux certifications en informatique. De retour au Cameroun, il refuse les salaires de misère qu’on lui propose et crée son entreprise en 2014. Son portefeuille clients est constitué d’une quinzaine de personnes aujourd’hui. Il n’est pas le seul. Lorsque Tony Smith raconte son histoire, les jeunes suspendus à ses lèvres applaudissent à n’en point finir. C’est que, ce jeune Camerounais inspire plus d’un. Parti de rien comme il le dit luimême, il est aujourd’hui un homme d’affaires à la tête de nombreuses entreprises à travers le monde. La plus connue est Limitless Electronics Llc, spécialisée dans la vente des tablettes. « Au départ, j’avais mon projet. J’y ai cru et je me suis donné à fond pour y arriver », raconte celui qui vit désormais aux Etats-Unis. « Un entrepreneur n’est pas quelqu’un qui fuit les risques, martèle-t-il.

Il faut éviter de prendre les raccourcis car, c’est le long chemin qui paie ». Une leçon de vie qu’applique Jean-Paul Manyoto. Ce jeune entrepreneur s’apprête à mettre sur pied le premier site comparateur des prix de médicaments au Cameroun. Le projet est en phase terminale. Ce qui marque chez lui est sa volonté de réussir. Comme de nombreux jeunes, il a cherché du travail. Et comme eux, il a galéré à un moment donné, mais, il n’a jamais « baissé les bras ». D’ailleurs, au début de son projet, il a eu de nombreux soucis. « La première version du site web n’était pas la bonne. Nous avons dû refaire une autre sur laquelle on travaille actuellement. Tout est enfin prêt, lâchet- il fièrement. Je ne veux plus que nous souffrons à chercher à chaque fois le vrai prix des médicaments.

Avec ce site, les prix officiels seront connus ». AManjo dans le département du Moungo, Félix Nounkeu est considéré par ses amis d’enfance comme un « petit bourgeois ». D’ailleurs, lorsqu’il arrive à Douala comme c’est le cas chaque vendredi de la semaine, son meilleur ami, mécanicien, abandonne toutes ses activités pour passer sa journée au côté de son « boss d’un jour». A 31 ans, Félix Nounkeu est un homme d’affaires. Il possède trois hectares de plantation, 15 mototaxis et six points de call-box, répartis entre Douala, Manjo et Nkongsamba. « Après mon baccalauréat à Bangangté, je me suis inscrit à l’université de Douala. Au bout de deux années en faculté de Droit, j’ai tout arrêté pour me consacrer au commerce ». A l’époque le jeune homme parcourt les chantiers de construction le jour. Après trois semaines, il économise 23 000 F. Cfa. Il se lance alors dans la vente des brochettes de porc en soirée, de retour de ses chantiers.  

L’Etat impuissant?

Les bénéfices ne tardent pas à tomber. Félix achète des téléphones portables, y charge du crédit de communication et les donne à sa cousine. « Avec mes bénéfices, j’ai acheté d’autres téléphones. J’ai recruté d’autres jeunes filles qui faisaient le Callbox. Et au fur et à mesure, avec d’autres bénéfices, j’achetais des motos. Puis, en 2012, j’ai acheté ma plantation à Manjo », raconte Félix. Il est aujourd’hui un jeune millionnaire qui préfère réfléchir sur son avenir. Il ne compte que sur lui-même pour évoluer. Selon le jeune homme, l’Etat « ne peut plus aider tous les jeunes chômeurs ». Ce que confirment des sources à la délégation régionale du Travail et de la Sécurité sociale pour le Littoral et au Fonds national de l’emploi. Au Fne par exemple, un Programme de stages préemploi encore appelé Ped a été mis sur pied.

Le but de ce programme est l’insertion dans le circuit de production des jeunes diplômés sans expérience professionnelle et à la recherche d’un emploi. La stratégie est simple: le Fne et l’entreprise se partagent (donnent chacun, ndlr) 50% des frais d’indemnités versées aux stagiaires. Malheureusement, selon un responsable, les fonds disponibles sont insuffisants. « Chaque année, des milliers de jeunes diplômés sortent des grandes écoles à travers le pays. Ce sera vraiment un rêve de croire que l’Etat peut offrir des emplois à tous », dit-on à la délégation régionale du Travail et de la Sécurité sociale du Littoral. En clair, les milliers de jeunes diplômés qui arrivent sur le marché de l’emploi camerounais doivent se « débrouiller », chacun à sa manière pour trouver comment gagner sa vie. Le jeune Fabrice, 17 ans et élève en classe de Seconde A4, a déjà sa stratégie future : si après sa licence il ne trouve pas un emploi, il prendra la route de l’aventure pour l’Europe, « quelque soit le risque ».

© Le Jour : Josiane Kouagheu

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