Programmes et Projets agricoles gouvernementaux : l’opacité érigée en mode de gestion ?
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La réalité est révoltante. De 2007 à 2013, la pauvreté a augmenté en milieu rural de 3 points.  Pourtant à la même période, 727 milliards 775 millions de FCFA ont été affectés à la lutte contre la pauvreté…  en zone rurale.  A quoi a véritablement servi cette masse d’argent ? Les responsabilités seront-elles un jour établies ?  Car il faut bien appeler un chat chat !  Il y a eu mal gouvernance.  L’indignation le disputait à l’amertume dans la belle salle d’Aurélia Palace où ONG et organisations de producteurs étaient réunies, les 8 et 9 avril 2015 pour un atelier de concertation et de restitution des études menées, à l’initiative du Collectif des ONG pour la Sécurité Alimentaire et le Développement rural (COSADER) dont Mme Andela, que l’on ne présente plus, est la présidente.  L’Association des Journalistes Camerounais pour l’Agriculture et le Développement (AJAD) a pris une part active à cet atelier sanctionné par une Déclaration Finale soulignant à grand trait le mot TRANSPARENCE.

En ont reçu copie : les représentants des ministères de l’Agriculture et du Développement rural (MINADER), de l’Élevage, des Pêches et des Industries animales (MINEPIA), de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (MINEPAT), de la Chambre d’Agriculture, des Pêches, de l’Elevage et des Forêts du Cameroun (CAPEF), de la Banque africaine de développement (BAD) - un des bailleurs de fonds de l’Etat du Cameroun. Comme il fallait s’y attendre, ces hommes et femmes, au nom des hautes personnalités qu’ils représentent, se sont répandus en propos convenus, en promesses peut-être sans lendemain…
J’ai estimé que le contribuable camerounais a tout sujet d’être au courant de ce scandale. D’où cette tribune. Il s’agit de son argent. Des dettes (en partie) contractées et pour le remboursement desquelles des générations entières seront appelées à se serrer la ceinture.

Pour en revenir aux origines. En 2007, le document officiel  sur la pauvreté au Cameroun révèle que 39,9% de la population est pauvre. En milieu rural, la pauvreté est de 55%. En 2013, la pauvreté y est passée à 58% alors que pour la réduire les budgets des quatre  ministères (MINADER, MINEPIA, MINFOF -Ministère des Forêts et de la Faune- MINEPD- Ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et du Développement  durable)  relevant de la  SDSR-Stratégie de développement du Secteur rural- une des déclinaisons sectorielles du Document de Stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) devenue DSCE –Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi- se sont élevés entre 2007 et 2013 à 727 milliards 775 millions de FCFA. Un montant à réviser à la hausse si, comme l’estime le COSADER, on intègre les sommes que des administrations à l’instar du MINEPAT, du Ministère de la Jeunesse ont pendant le même laps de temps officiellement affectées au développement rural. Quoi qu’on en dise : le résultat est triste à pleurer !   

Assis dans un salon à Yaoundé ou derrière son ordinateur,  on ne prend pas assez la mesure du drame humain qui se noue derrière cette pauvreté exponentielle. Les conséquences sont énormes et tentaculaires.

D’abord en milieu rural : c’est l’insécurité alimentaire, les départs massifs vers les villes contribuant à la chute de la production agricole, la dislocation du tissu familial, la prostitution, les grossesses précoces, les abandons scolaires faute d’argent, l’incapacité à se payer des soins de santé, l’alcoolisme, la baisse de l’espérance de vie, etc. En d’autres termes, des millions de personnes supplémentaires dont l’existence même est précaire. Des millions de jeunes filles et de jeunes garçons dont l’avenir est détruit à jamais. En ville, les conséquences n’en sont pas moins dramatiques et irréversibles : l’exode rural qui nourrit la délinquance, la promiscuité, la cherté de la vie (explosion des loyers, rareté et hausse du prix des produits des champs, etc.), le recours aux médicaments de rue avec tous les dangers que cela implique.  L’embrigadement des désœuvrés dans des sectes religieuses et terroristes…  Fait aggravant ! Le gouvernement qui a mobilisé des milliards pour que le monde rural puisse se prendre en charge, puisse nourrir le pays et lui procurer des devises en est réduit à importer de la nourriture (500 milliards de FCFA pour la seule année 2009 pour les importations de la farine, du riz et du poisson, dixit le président de la République dans son discours d’ouverture du Comice agro-pastoral d’Ebolowa le 17 janvier 2011. Pourtant, pour les deux derniers produits le Cameroun dispose d’un potentiel qui ne demande qu’une politique d’exploitation audacieuse).  Le même gouvernement en est réduit à augmenter la part du budget relatif à la lutte contre l’insécurité, aux aides sociales.  A concevoir un plan d’urgence…  

Les responsables de l’augmentation de la pauvreté en milieu rural, principaux bassins de production, doivent tous autant qu’ils sont être mis hors d’état de nuire. Leurs prévarications présumées les placent dans le camp des ennemis de la nation. De ce fait, la loi doit leur être appliquée dans sa plus extrême rigueur.

L’imposture des programmes et projets agricoles

Mis en place dans le sillage du Plan d’Ajustement Structurel, les programmes et projets (co-financés généralement par le BIP et les bailleurs de fonds) devaient être le bras séculier du gouvernement dans la relance de la production végétale et animale. Il en a été créé autant qu’il existe de filières : Programme Maïs, Programme Riz, Programme Pomme de terre, Programme Plantain, Programme Oignon, Projet Champignon…  Moi qui m’occupe des questions agricoles principalement, Je suis bien en peine d’en dire le nombre exact. Tellement, il en pleut. Très généralement par le plus grand des hasards, je suis mis au parfum d’un programme nouvellement installé. Dès lors, commence pour moi un parcours d’obstacle. Primo, le Programme est difficilement localisable. Secundo, même quand vous avez obtenu le numéro portable du coordonnateur national, celui-ci use d’arguties pour ne pas vous dire, pour l’information du grand public, les missions du programme dont il a la charge.

Au fil du temps vous en arrivez, à la lumière de vos appels qui tombent systématiquement dans le vide, à la conclusion que votre numéro a été sûrement blacklisté. Il m’est arrivé de me rendre dans une localité réputée pour une culture dont un  Programme porte le nom et de m’en retourner sidéré que des années après l’existence du Programme des producteurs de la filière n’en ont jamais entendu parler.  C’est même moi qui leur apporte l’information. A cet effet, l’enquête du COSADER, quoique révélant un secret de polichinelle, a le mérite d’exister. Car, l’enquête a été réalisée dans les règles de l’art. Donc irréprochable de professionnalisme ! En voici la substance : « La plupart des bénéficiaires des subventions indiquent que c’est par un responsable du programme/projet qu’ils ont été informés. Ce qui donne la possibilité d’assister à toute sorte d’abus et parfois des investissements qui ne profitent à personne même pas au supposé bénéficiaire (...)  On peut dans ce cas intégrer comme bénéficiaire les membres de la famille plus ou moins éloignés, les amis et les réseaux de connaissances au détriment de l’objectivité. »
 
En sus du MINADER et du MINEPIA, d’autres ministères à l’instar du MINEPAT ont sous leur tutelle un ou des programmes agricoles.  Il est courant de trouver au sein d’un même département ministériel plusieurs projets ou programmes qui interviennent dans la même filière. Toute honte bue, deux ou trois ministères mènent chacun dans son coin un projet sur une même culture. Au vu des milliards affectés à chacun des programmes, on se serait attendu que cette forte sollicitude se traduise, pour les produits vivriers à fort enjeux de sécurité alimentaire, sur les marchés par une offre abondante, accessible et disponible. C’est rarement le cas ! Pour les cultures de rente, que le Cameroun fasse moins piètre figure aux côtés des pays aux potentiels quasiment similaires. Il n’en est rien !
A côté de cela, il est des projets/programmes officiellement clôturés, les bailleurs de fonds s’étant retirés, mais qui bénéficient année sur année de lignes dans le Budget d’investissement public (BIP).
 
En guise de solution.

Les responsables des programmes/projets qui font dans la rétention de l’information doivent être identifiés et dénoncés publiquement.  En décembre 2011, des nouveaux hommes sont arrivés à la tête des départements ministériels en charge des questions agro-pastorales et halieutiques. Leur volonté de changer les choses est forte. Mais les résistances le sont davantage, parce qu’elles se sont enracinées et ont eu largement le temps d’étendre leurs tentacules. Seuls, ces hommes ne remporteront que des fausses victoires. Ces victoires qui n’apportent aucune amélioration sensible dans le quotidien des Camerounais d’en bas. Alors, des synergies fortes doivent se former. La Société Civile, les Médias, doivent intensifier leur action de dévoilement.  Des initiatives (telles les Journées d’Information sur les Emplois Agricoles, l’Annuaire des Structures publiques et privées d’Appui à l’Insertion Agro-pastorale et Halieutique) visant à démocratiser l’information et à donner à tous les agriculteurs, à tous les citoyens, les mêmes chances d’accès à la formation agricole, les mêmes chances d’accès au financement doivent être encouragées.

La CONAC se doit de poursuivre le travail d’assainissement qu’elle a si bien commencé, il y a quelques années, au Programme Maïs, le CONSUPE se doit d’intervenir conformément à sa feuille de route.  C’en est trop ! Une poignée d’individus placés à la tête des programmes/projets a décidé d’entretenir l’opacité pour mieux distraire en rond les fonds au moyen de GIC factices, de bénéficiaires tout aussi factices, entravant la production agricole, mettant en péril la sécurité alimentaire, la paix sociale au Cameroun.  

© Correspondance de : Thierry Djoussi, Président de l’Association des Journalistes Camerounais pour l’Agriculture et le Développement

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