Douala : Les promesses non tenues de Mbanga-Pongo
CAMEROUN :: SOCIETE

CAMEROUN :: Douala : Les promesses non tenues de Mbanga-Pongo :: CAMEROON

Huit années après le crash d’avion de la compagnie aérienne Kenya Airways qui avait fait 114 morts, les habitants n’ont toujours pas les routes et l’eau potable promises.

C’est grâce au crash d’avion que j’ai acheté mon terrain à Mbanga-Pongo ». Armé d’un bâton, Moussa Tao marche, les yeux fixés sur le sol. Il pose ses pieds avec précaution. La zone est marécageuse. Par endroits, on fait face à la mangrove. Comme une poignée d’habitants de ce quartier situé dans l’arrondissement de Douala 3ème, dans la capitale économique du Cameroun, Moussa se rend en ces lieux au moins deux dimanches sur quatre pour enlever la broussaille. Il maîtrise parfaitement le trajet et le site. « Je suis arrivé sur le lieu du crash le 7 mai. J’ai acheté mon terrain le 17 septembre 2007. Mesurez d’abord la profondeur avec vos perches avant de poser vos pieds », prévient-il, en esquivant une mare de boue.

Le chemin est parsemé de boues, de mares d’eaux et d’herbes. Après environ 30 minutes de marche, le site apparaît. « Voilà le site du crash », lance Moussa en pointant le lieu. Huit années après le crash du Boeing 737-800 de la compagnie de transport aérien Kenya Airways, les signes du drame sont encore visibles. Sur le sol, un os traine à l’entrée du site que les villageois ont encadré avec des piquets peints en rouge il y a neuf mois. En avançant, nous observons plusieurs autres, dissimulés dans des touffes d’herbes. Plus près, on remarque alors des os du bras et un morceau de crâne.

« Depuis un an, nous avons fait un enclos autour de ces ossements humains sous forme de tombe », précise notre guide. Plus loin, on aperçoit une chaussure pleine de terre et abîmée. Dans un autre coin, un vieux pantalon et une vieille valise trainent au sol. Impossible d’identifier leur couleur. Le temps a eu raison de ces effets appartenant surement à quelques uns des 114 passagers de l’avion qui s’est écrasé dans la nuit du 4 au 5 mai 2007.

La détresse des habitants

Ce samedi, au milieu des herbes, le réacteur de l’avion brille sous le soleil matinal. Ses reflets aveuglent. Il est difficile de s’y assoir car, il dégage une forte chaleur. Juste à côté, une roue, un gros morceau de fer et des petites épaves, sont recouverts de la mousse végétale. Ce sont les seules parties de l’avion qui ont résisté aux ferrailleurs, apprendon. « Entre 2008 et 2009, les ferrailleurs ont volé toutes les parties de l’avion qui se trouvaient ici », précise Moussa Tao. D’un large geste de la main, il indique une sorte de lac où planent des feuilles. Il nous apprend alors que c’est à ce niveau que l’avion a crashé. « Avant, cette surface était plane. C’est le choc du crash qui a créé ce trou », dit-il. Moussa précise, le ton ferme, qu’une partie de l’avion, « la tête » de l’appareil ainsi que le pilote, s’y trouve encore.

Ce crash d’avion a rendu le quartier Mbanga-Pongo tristement célèbre. Les habitants pensaient alors que cet évènement malheureux, ayant causé la mort de 105 passagers (parmi lesquels 34 Camerounais) et 9 membres d’équipage allaient permettre le développement de leur quartier. Ici les souvenirs des « promesses » reçues de l’Etat et de la compagnie aérienne sont encore présents dans les mémoires. Avant toute chose, Evariste Onana tient à nous montrer une partie de l’aile de l’avion qu’il garde jalousement dans sa maison construite en matériaux provisoires. C’est le seul souvenir physique que le chef du bloc 14 garde du crash. « La compagnie aérienne Kenya Airways et les autorités camerounaises nous ont promis des points d’adduction d’eau potable, la construction de la route, d’un hôpital. Mais, il n’y a jamais rien eu », se plaint Evariste Onana.

Plus grave, Jean Kamgang Ngounou, membre du comité de développement de Mbanga- Pongo explique que le quartier manque d’écoles publiques. En dehors du Ces bilingue de Mbanga-Pongo, toutes les autres écoles et collèges sont privés. Conséquence : les parents n’ont pas d’argent pour payer la scolarité. « Ce sont les parents qui ont contribué financièrement à la construction du Ces, confie-t-il. Le principal problème de Mbanga-Pongo reste la route. Nous ne pouvons pas nous approvisionner en produits alimentaires et autres. Lorsqu’il pleut, la voie d’accès est impraticable ». Pourtant, Melinga Abat, chef du quartier, affirme que plusieurs correspondances ont été adressées aux autorités administratives de la région du Littoral et même à la présidence de la République pour leur faire part de leur « souffrance ». Rien n’a été fait. Les habitants attendent toujours les routes, écoles et hôpital promis.

La vive douleur des familles

Si les habitants de Mbanga-Pongo acceptent de partager leur souffrance, les familles des victimes par contre refusent de se prononcer sur le sujet. « Maman et papa ne sont pas là. Revenez en semaine », nous a lancé la soeur cadette d’une victime. A notre arrivée « en semaine », la maman nous a demandé de la « laisser pleurer son fils en paix ». Contacté au téléphone, le frère cadet d’une autre victime nous a fait savoir la première fois que ce sont ses « parents qui gèrent » et qu’il allait leur demander s’ils pouvaient nous rencontrer. La 2ème fois, il a écourté la conversation et a promis de nous recontacter. Chose qu’il n’a jamais faite. « J’ai perdu ma cousine dans ce crash d’avion. Ça me fait encore très mal. Je ne peux pas en parler », supplie un membre d’une famille, rencontré à quelques mètres du lieu du crash.

Au mois de février 2015, huit européens, venus se recueillir, ont été obligés de déposer leurs gerbes de fleurs au pied d’un palmier à l’entrée du site, faute de n’avoir trouvé un guide pour les conduire sur le lieu du crash du vol KQ 507 de Kenya Airways qui avait été victime d’une désorientation spatiale juste après son décollage dans la nuit du 4 au 5 mai. En effet, à la page 57 du rapport d’enquête, consacrée aux « causes probables », il est écrit que l’avion s’est crashé après : « (…) un contrôle opérationnel inadéquat, un manque de coordination de la part de l’équipage, associés au non respect des procédures de vol (…) ». Venus s’enquérir de la situation, les visiteurs y découvrent des parcelles de terrain encore non occupés, les achètent et y construisent leurs maisons. Huit ans plus tard, ils risquent de tout perdre, à cause d’un problème d’immatriculation foncière.

© Le Jour : Josiane Kouagheu et Hélène Tientcheu

Lire aussi dans la rubrique SOCIETE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo