Cameroun,20 ANS APRÈS: ENGELBERT MVENG, UN PROPHÈTE INCOMPRIS
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Cameroun,20 ANS APRÈS: ENGELBERT MVENG, UN PROPHÈTE INCOMPRIS :: CAMEROON

Assassiné dans la nuit du 22  au 23 avril 1995 à son domicile à Nkolafeme, dans la banlieue de Yaoundé dans des circonstances jamais élucidées comme d’autres religieux,  religieuses, prêtres et évêques, Engelbert Mveng reste une figure emblématique de l’Eglise, de la culture et de la pensée libre au Cameroun.

Vingt-cinq ans après la mort tragique d’Engelbert Mveng, son image et son vaste héritage  hante la conscience des intellectuels africains. Né le 9 mai 1930 à Enem Nkal, près de Yaoundé, Engelbert Mveng était un prêtre jésuite. Il était à la fois prêtre, théologien, historien, écrivain, enseignant, homme de culture, artiste et poète. Le révérend Père Engelbert Mveng avait été assassiné dans la nuit du 22 au 23 avril 1995 à Nkolafeme, à quelques kilomètres de Yaoundé. Il avait été retrouvé le matin du 23 avril 1995 nu, étranglé et couché dans son lit face au plafond, une profonde blessure à la tête. Apparemment,  rien n'avait été pris  dans  sa chambre. Aucune lumière sur ce meurtre à ce jour. L’enquête sur sa mort n’a toujours pas livré son secret. La conférence  épiscopale nationale du Cameroun (Cenc), qui avait condamné ce meurtre inexpliqué, continue d’attendre les résultats de cette enquête.

Un libre penseur

Dans un texte posthume publié après sa mort, le Père Mveng affirme des choses qui ressemblent à  un testament politique et éthique : «En tant que citoyen vivant dans une société organisée en Etat, j'ai également mon expérience, mes réactions, mes responsabilités de citoyen. Je suis responsable de mon destin. Et la société organisée en Etat, a d'abord pour mission, je crois, de m'aider à accomplir ma vie et mon destin de façon la meilleure possible. Je ne suis par conséquent pas prêt à me laisser entraîner à la dérive de quelque système politique, de gouvernement et de n'importe quelle conception de pouvoir. Que l'on soit politicien ou non, on a quelque chose à dire sur la situation politique, économique, sociale et culturelle de nos PAYS», dit le regretté père jésuite.

Engelbert Mveng a été l’un des  pionniers de la théologie africaine. Il a été parmi les théologiens qui ont œuvré  pour  un concile africain. L’idée  a débouché  sur le premier Synode africain de 1994. Engelbert Mveng  a fait connaître la théologie africaine et est parvenu à donner un exemple d'inculturation du symbolisme africain.  Engelbert Mveng est ainsi connu en Afrique, Aux Etats-Unis, en Europe  et partout à travers le monde entier pour sa pensée et surtout ses œuvres d’art. Notamment le  chemin de croix, ses mosaïques et les dessins pour les habits liturgiques qui font la fierté de  l'Église catholique qui est en Afrique en général  et au Cameroun.

Paul Biya interpelé

On se rappelle qu’à  l’occasion de la Présentation des Lettres de créance de l’ambassadeur du Cameroun près le Saint-Siège, Antoine Zanga le lundi 16 juin 2008, à Rome , le Pape Benoît XVI s’était souvenu d’ Engelbert Mveng  : «Je ne peux qu’inviter les nations de la région à répondre toujours plus aux exigences de sécurité et de paix, pour faire face aux différents foyers de violence, dont l’ensemble de la population innocente, et l’Église elle-même, sont malheureusement souvent les victimes. Comment ne pas rappeler le décès tragique de Mgr Yves Plumey, du Père jésuite Engelbert Mveng, et plus récemment du Frère clarétain allemand Anton Probst(…)», avait souligné celui qui est devenu pape émérite.

Dans un article daté de mai 1999,  le Pr Sindjoun Pokam faisait remarquer que « Jean Marc Ela, de son exil canadien, remet à l'ordre du jour politique et éthique la question de l'assassinat du Père Mveng. Celui qui incarne l'Etat est solennellement et publiquement mis en accusation. Jean Marc Ela écrit : «  Biya sait qui a assassiné le Père Mveng et doit le dire aux Camerounais. Biya a toutes les preuves, tous les faits pour dire qui a assassiné le Père Mveng». Cette accusation  grave venant  de l'écrivain théologien,  enseignant, sociologue, anthropologue  Jean Marc Ela -  décédé  en  exil le 25  décembre 2008 à Montréal,  au Canada - ,  reste d’actualité. Convaincu d'être menacé de mort parce qu’il tenait à voir  la lumière faite sur l'assassinat du père Engelbert Mveng, Jean Marc Ela avait  été contraint de quitter Yaoundé pour se  rendre au  Québec, au Canada.

Constituer un comité de vérité

Il s'était Iinstallé à Montréal où il donnait des cours de sociologie à l'Université Laval. Jean Marc Ela a été non seulement un penseur de renommée mondiale, mais  l’une des  grandes figures éthiques de notre temps. Sindjoun Pokam avait  ajouté ce qui suit : «Qu’un tel homme déclare péremptoirement que le Chef de l'Etat, M. Biya, sait qui a tué le Père Mveng, nous ouvre tous à un droit de vérité. Notre conscience morale nous y oblige et le Président de la République ne peut plus continuer à se taire. Sa responsabilité est solennellement et publiquement interpellée (…)»,  avait ajouté Sindjoun Pokam, avant de suggérer que la société civile  s’organise  dans ses composantes essentielles «pour  constituer de toute urgence un comité de vérité (…)».

Le Pr Sindjoun Pokam avait précisé que  «l'Etat post colonial qu'incarne M. Paul Biya est fondé sur la violence et se perpétue dans et par la violence. Mais nous doutions que M. Paul Biya, fils d'un catéchiste et chrétien catholique fût capable d'ordonner l'assassinat d'un prêtre catholique».  Sindjoun Pokam avait résumé sa préoccupation : «A quel degré de violence et de cynisme a-t-il fallu que l'Etat Biya parvienne pour que l'exil soit possible comme chemin de salut et que l'intellectuel camerounais en invente le concept ? (…)Que s'est-il donc PASSÉ dans le devenir historique des intellectuels que nous sommes pour que le discours de dissidence et de résistance dont Jean Marc Ela est la figure totémique s'efface de notre horizon intellectuel et que celui de l'exil formulé par Achille Mbembe vienne au premier plan pour porter seul l'exigence éthique ?», s’était demandé Sindjoun Pokam avant de conclure : «Désormais nous savons que l'Etat post colonial a installé autour de l'intellectuel dissident l'ombre de la mort. Mais nous n'avons pas peur de la mort».

© La Nouvelle Expression : Edmond Kamguia K.

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