Cameroun, Emeutes de février 2008: Jean Michel NINTCHEU  " Les familles des victimes ont eu peur de demander que justice leur soit rendue"
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Cameroun, Emeutes de février 2008: Jean Michel NINTCHEU " Les familles des victimes ont eu peur de demander que justice leur soit rendue" :: CAMEROON

Il faut clairement le dire. Je ne suis pas le mandataire des familles de ces martyrs. Personne ne m’a mandaté. De par ma position de député de la Nation et de député d'une circonscription qui a malheureusement connu un nombre important de victimes, de par mes convictions républicaines, mon action a consisté à faire en sorte que, dans un processus transparent, ces familles soient recensées et qu’elles soient indemnisées[...]

Un sujet revient dans l’actualité ces derniers temps. Celui de  l’intention du gouvernement camerounais d’indemniser les victimes des émeutes de février 2008. On sait que vous êtes la seule personne à avoir créé une structure qui commémore chaque année cet événement, depuis 2009. Et qui a demandé que justice leur soit rendue et que réparation leur soit faite. Qu’est-ce qui se cache derrière cette opération aujourd’hui ?

Merci de me donner l’opportunité d’apporter quelques clarifications. Comme vous l’avez indiqué, depuis sept ans, nous avons organisé des activités dans le cadre de la semaine des martyrs pour leur rendre hommage et faire en sorte que ces  victimes de février 2008 ne soient pas oubliés. Et surtout que justice et réparation leur soient rendues. En tout cas, que les familles de ces martyrs reçoivent justice et réparation.

Quand vous parlez de justice,  à quoi vous attendez-vous concrètement ? 

Il s’agit d’ordonner une enquête sérieuse pour établir les responsabilités, pour savoir pourquoi des jeunes camerounais aux mains nues ont été sauvagement assassinés, qui a donné l’ordre de tirer à balles réelles sur des manifestants dont le seul tort a été de crier leur ras-le-bol sur la conduite des affaires du pays. Il faut donc mener des enquêtes sérieuses pour savoir tout cela, pour établir les responsabilités. Les morts de suite d'assassinat de nos compatriotes en février 2008 constituent un des nombreux et importants cadavres qui se trouvent dans les placards de M. Biya. Ce pan malheureux de l'Histoire de notre pays mérite d'être revisité. Je trouve révoltant et choquant que le régime de Yaoundé refuse systématiquement jusqu'à ce jour de dédommager des compatriotes vivants victimes des émeutes et des familles des martyrs tombés innocemment sous  les balles payées grâce à l'argent des impôts de leurs parents alors que l'on avait procédé par le passé à l'indemnisation des victimes de la catastrophe de Nsam qui, quoique poussés par la précarité voulue et entretenue par les tenants du pouvoir, s'étaient tout de même ruées sur du carburant qui ne leur appartenait pas. Je trouve cela scandaleux.  

Il y a plusieurs catégories de victimes…

Bien entendu. Il y a malheureusement des jeunes qui sont morts. Il y a des victimes qui ont perdu un bras, un œil. Il y en a qui ont plutôt perdu leurs biens. Tous ceux-là sont des victimes des émeutes. Donc, une enquête sérieuse doit être menée pour savoir exactement ce qui s’est passé. Maintenant, en ce qui concerne la réparation, il faudrait dans un premier temps faire le recensement des victimes, établir le profil des victimes à indemniser. Parce que comme j’indiquais tout à l’heure, les jeunes camerounais qui sont morts ne peuvent pas être indemnisés au même titre que ceux qui ont perdu un œil ou un bras. Tout ceci doit être fait dans un processus transparent. C’est extrêmement important. 
J’insiste sur la transparence.

Une mission du ministère, à en croire des informations, serait discrètement descendue à Douala pour recenser les victimes. Est-ce que vous êtes au courant de cette mission ?

Je ne suis pas du tout au courant de cette mission. Je n’ai jamais été contacté, ni directement ni indirectement. Je pense que ces autorités savent que je suis une des personnes ressources qui a une certaine légitimité, non pas pour représenter les familles ou les victimes, mais pour  fournir des renseignements crédibles, compte tenu des actions que j’ai menées depuis des années en direction des familles. J’ai une adresse connue, donc il est facile de me contacter. Je n’ai pas été contacté.

Est-ce une façon de dire que vous  tenez à jouer un quelconque rôle dans une éventuelle mission ?

Il faut clairement le dire. Je ne suis pas le mandataire des familles de ces martyrs. Personne ne m’a mandaté. De par ma position de député de la Nation et de député d'une circonscription qui a malheureusement connu un nombre important de victimes, de par mes convictions républicaines, mon action a consisté à faire en sorte que, dans un processus transparent, ces familles soient recensées et qu’elles soient indemnisées. Ceci doit se passer  dans un recensement rigoureux.

Mais il y a par exemple une dame comme Madeleine Afité, qui avait beaucoup travaillé dans le cadre de ces émeutes et qui avait même publié une liste de victimes dans le cadre d’une association qu’elle dirigeait. Ne pensez-vous pas que ce sont des personnes qu’on peut contacter au cas où une mission viendrait à Douala ?

Tout à fait. Je pense que Madeleine Afité a fait un travail remarquable dans le cadre de ces tristes évènements. Elle a une compétence avérée en la matière, et je pense qu’il serait extrêmement utile qu’elle soit associée à ce type  d’opération. C’est extrêmement important, parce qu’elle a beaucoup travaillé avec les familles des victimes pendant et après les émeutes. Je pense qu’elle a également fait autorité en ce qui concerne ces tristes évènements. Donc il est important qu’elle soit associée à cette opération, si jamais elle devait avoir lieu.

Est-ce que cela voudrait dire que vous émettez encore des doutes sur l’existence d’une telle mission ?

Comme je vous l’ai indiqué, nous sommes, en ce qui me concerne, dans une espèce de spéculation. Je n’ai jamais été contacté. Donc je ne suis pas au courant. Je sais par contre que l’idée de constituer une telle commission a beaucoup circulé dans les arcanes du pouvoir notamment dans les couloirs de l'Hémicycle de Ngoa Ekelle. Et c’est depuis quelques temps aussi que la presse évoque sa probable descente sur le terrain. Sans qu’officiellement, l’information ne soit donnée par les autorités compétentes. Connaissant les pratiques de ce pays, je ne peux pas parier que rien n’est en train d’être fait. Des gens peuvent s’asseoir dans des ministères et concocter une liste des victimes pour contenter les organisations qui  font pression sur le gouvernement camerounais depuis toutes ces années.

J’ai même appris que certaines personnes auraient été contactées. Mais n’ayant pas été contacté directement, je ne peux pas dire quelque chose de sérieux. Du moins, je ne peux pas en dire plus. Donc s’il y a une démarche de la part du gouvernement comme nous l’avons toujours souhaité, ça a été notre revendication depuis, il faut que ça se passe dans un cadre transparent. Parce que les principaux concernés, ce sont les victimes, les familles des victimes, et éventuellement des gens qui se sont impliqués comme Madeleine et moi, qui pouvons être là uniquement pour encadrer tout ça afin que tout se passe dans la transparence.

Pourquoi dans le cadre de l’association que vous aviez créée, vous n’avez jamais aidé ces familles à s’organiser ?

Chaque fois que je suis descendu dans les familles dans le cadre des activités que j’organise pendant les semaines  des martyrs, j’ai  leur ai toujours demandé  de s’organiser, si possible en collectif pour pouvoir défendre leurs intérêts. Je crois que si aujourd’hui on en parle, même sous forme de rumeur d’indemnisation, c’est surtout grâce aux pressions et aux actions que nous avons menées. Je pense aussi qu’il y a également eu des actions menées au niveau de la diaspora par certains compatriotes, tendant à porter cette affaire devant les instances internationales pour que les responsables de ces tueries soient punis. C’est pourquoi j’insiste sur le volet justice. Pour moi,  il est hors de question qu’on se limite uniquement au volet réparation sans chercher à savoir ce qui s’est réellement passé.

Pourquoi ces familles n’arrivent pas à s’organiser, d’après vous ?  

Vous savez, beaucoup de ces familles qui sont d’origine extrêmement modeste, ont reçu des intimidations. Ce qui fait qu’elles ont tout simplement eu peur. Elles se sont culpabilisées. Elles ont eu peur de demander que justice leur soit rendue, parce qu’elles avaient peur. Il y a certains qui sont  aussi victimes de leur l’ignorance. C’est pourquoi encore une fois, il faut qu’un recensement sérieux soit fait.

Mais qui va faire le recensement si ces familles ont peur de se confier ? Qui va donc les approcher sans qu’elles aient peur ?

Je pense que ça peut être une action concertée entre la société civile, représentée par Madeleine Afité par exemple, la fondation des martyrs que je représente, et qui a toujours travaillé pour faire vivre leur mémoire, et enfin les pouvoirs publics. Je pense que si les choses sont organisées comme cela, les familles vont très vite être identifiées. Vous savez qu’il y a eu cette guerre des chiffres au niveau du nombre des victimes. Donc, il faut que dans un processus transparent impliquant la société civile et les pouvoirs publics, les vraies victimes soient identifiées et qu’elles puissent obtenir réparation. Que les responsabilités soient établies par rapport à ce qui s’est passé.

* Le titre est de la rédaction de camer.be

© La Nouvelle Expression : Propos recueillis par David Nouwou

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