Les zones d'ombre sur le rôle de la France au Rwanda restent nombreuses»
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Les zones d'ombre sur le rôle de la France au Rwanda restent nombreuses»

L'historien Stéphane Audoin-Rouzeau analyse les conséquences de la déclassification des archives de l'Elysée sur le génocide rwandais de 1994.

La vérité sur le rôle de la France au Rwanda en 1994 enfin mise au jour? Pour connaître l’étendue, potentiellement explosive, des compromissions françaises aux côtés des responsables du génocide des Tutsis, il faudra bien plus qu’une déclassification d’archives selon l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. L’annonce a été faite par l’Elysée le 7 avril au soir, jour de commémoration du déclenchement du génocide.

Cette déclassification des archives de l’Elysée est-elle réellement une décision historique ?
Il est un peu tôt pour le dire : tout dépend de ce qui a été déclassifié, et surtout, de quelle manière la déclassification a été effectuée. Pour l’instant, l’impression dominante est qu’il s’agit d’un processus soigneusement contrôlé, portant sur un corpus très restreint d’archives. Signe inquiétant : la présence de Dominique Bertinotti, représentant l’Institut François Mitterrand, lors de la signature inaugurant cette déclassification. On connaît en effet la perspective hagiographique qui anime cet Institut dédié à l’ancien président, au pouvoir pendant le génocide de 1994. Or, tout indique que la responsabilité de François Mitterrand a été centrale dans les errements de la politique française au Rwanda.

Pourquoi, à votre avis, cette annonce intervient-elle aujourd’hui ?
Le pouvoir politique français est soumis, depuis plusieurs années déjà, à une demande récurrente d’ouverture des archives sur le Rwanda, émanant de la «société civile». Et tout particulièrement de la part d’historiens ayant investi ce sujet. Mais cette demande vient aussi du parti du président et en particulier des jeunes socialistes qui depuis longtemps ont pris des positions en pointe, plutôt courageuses, sur cette revendication. Il y a d’autre part, le précédent de déclassification des archives de la guerre d’Algérie par Lionel Jospin. Mais concernant le Rwanda, je dois avouer qu’en l’état, je doute absolument de la sincérité du processus initié par l’Elysée.

L’histoire de la France au Rwanda contient-elle encore réellement des parts d’ombre ?
Les zones d’ombre restent nombreuses, sur la période 1990-1994 bien sûr, et sur la nature complexe et ambiguë de l’opération Turquoise (lancée à l’initiative de la France et censée en juin 1994, stopper, au dernier moment, un génocide en réalité déjà accompli, ndlr). On sait désormais que cette opération tendait aussi à un appui militaire au régime responsable du génocide des Tutsis. Certaines de ces zones d’ombre ont même été reconnues publiquement à Kigali le 25 février 2010 par Nicolas Sarkozy, premier (et seul) président de la République française à s’être rendu au Rwanda depuis le génocide.

Pour le reste, l’histoire de l’action de la France au Rwanda avant et pendant et après le génocide des Tutsis reste largement euphémisée dans notre pays. On assiste même à certains reculs cognitifs et moraux inquiétants, comme l’attestent les propos de Manuel Valls lors de son discours d’investiture à l’Assemblée le 8 avril 2014, lorsqu’il a déclaré : «Je n’accepte pas les accusations injustes et indignes qui pourraient laisser penser que la France ait pu être complice d’un génocide au Rwanda, alors que son honneur, c’est toujours de séparer les belligérants!»

D’autres pays occidentaux ont-ils été plus loin dans la recherche de la vérité sur ce génocide ?
Les autres pays, directement ou indirectement impliqués, ont au moins présenté des excuses. La France, en revanche, n’a jamais présenté d’excuses officielles, contrairement à la Belgique et aux Etats-Unis. Et c’est précisément ce que le président de la République a manqué de faire le 7 avril, cette année, une fois encore.

© liberation.fr : Maria MALAGARDIS

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