Lutte contre Boko Haram : Mécontentements dans l’armée
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La médaille de vaillance de Paul Biya récompense des militaires du Bir, les autres composantes de l’armée expriment leur incompréhension.

Le 1er avril dernier, sans que cela ne soit un poisson d’avril, Paul Biya a signé trois décrets attribuant la médaille de vaillance à trois catégories de militaires. Il s’agit du Décret n°2015/144 du 01 avril 2015 portant attribution de la médaille de la vaillance aux personnels en service dans les Bataillons d'Intervention Rapide; du Décret n°2015/145 du 01 avril 2015 portant attribution de la médaille de la vaillance aux personnels en service dans les Bataillons d'Intervention Rapide; et du Décret n°2015/146 du 01 avril 2015 portant attribution de la médaille de la vaillance aux personnels en service dans les Bataillons d'Intervention Rapide.

« Tout pour le Bir, et rien que pour le Bir » !

Ces actes du chef suprême des armées viennent ainsi récompenser 38 officiers qui « ont conduit avec patriotisme et sans esprit de recul, plusieurs batailles ayant permis de repousser les assauts des membres du groupe terroriste Boko Haram, sauvegardant ainsi l’intégrité du territoire national », 129 sous-officiers ayant « conduit en tant que chef de poste ou de patrouille, avec détermination et bravoure, plusieurs combats ayant permis de repousser les assauts des membres du groupe terroriste… », et 241 militaires de rangs qui « par leur courage, leur abnégation et leur détermination, ont activement contribué à repousser plusieurs assauts » de la secte terroriste.

A peine ces décrets ont été promulgués, que des mécontentements se sont fait sentir pour plusieurs raisons. A la lecture des décrets du chef de l’Etat, l’on s’aperçoit très rapidement que seuls les éléments du bataillon d’intervention rapide (Bir) ont été récompensés. Les autres composantes de l’armée ayant été « oubliées ». Or, il se trouve que pratiquement tous les corps de l’armée camerounaise, à savoir l’armée de terre, la gendarmerie, l’armée de l’air, ainsi que les unités spécialisées telles que le Bsa, le Bim, le Btap, etc., et même la Marine nationale, sont engagés au front. Alors, les éléments de ces corps ne comprennent pas pourquoi seuls les hommes du Bir ont ainsi été récompensés.

« On fait comme si c’est seulement le Bir qui est au front contre Boko Haram. Alors que, nous aussi, nous mourrons tous les jours ici au front. Nous avons abandonné nos femmes, nos enfants et nos familles, pour venir défendre le pays, et on fait comme si nous on ne faisait rien…. », affirme très amer l’un des sous-officiers que nous avons joint au front. Et son collègue de renchérir, « tous les jours, c’est tout pour le Bir et rien que pour le Bir, et ces décrets du Chef de l’Etat viennent encore prouver que nous ne sommes rien ! Donc maintenant pour que ton travail de militaire soit reconnu au Cameroun il faut seulement être du Bir ? C’est très injuste ce qui se passe-là (…)

D’abord tous les jours, c’est eux qui ont le bon matériel, nous, on n’a rien (…) On espère seulement que nos patrons vont réagir… ». C’est dire l’ambiance délétère qui prévaut dans l’armée depuis la signature des décrets du 1er avril dernier. Surtout qu’à la lecture de ces textes, certains éléments du Bir qui étaient en faction avec des soldats de « l’armée ordinaire » se seraient donné à des scènes de triomphalisme, devant des camarades des autres unités, littéralement médusés. Déjà en 2010, l’Ong International Crisis Group relevait pour le dénoncer la différence criarde de traitement qui existait entre la garde présidentielle et le Bir, bénéficiant d’un traitement princier, d’une part, et le reste de l’armée d’autre part. Ces discriminations, faisait savoir l’Ong étaient de nature à semer des troubles au sein des troupes. Ce risque est plus qu’important de nos jours dans un contexte de lutte contre Boko Haram. Ce d’autant plus, qu’en dehors de cet événement décrié, les soldats relèvent d’autres griefs.

Absence d’accompagnement psychologique

La guerre est un événement extrêmement traumatisant même pour les plus aguerris des militaires. Et la guerre asymétrique davantage, car en plus des méthodes et moyens de guerre à la sauvagerie extrême qu’usent les ennemis, l’on a tout le mal du monde à identifier et isoler cet ennemi ; exposant ainsi les combattants à la paranoïa permanente. Alors, il n’est pas rare de voir des soldats revenu d’Afghanistan, du Mali, de la Libye, de l’Irak, etc. être en proie aux crises de démences. Le phénomène est si grave et si important qu’on impose des « délais de transition » en isolement aux soldats de retour du front, et pendant lequel ils sont observés en permanence par des psychologues.

Quiconque a déjà vu une vidéo des attaques de Boko Haram est marqué par la sauvagerie des attaques en même temps que par « la normalité » des assaillants. Toutes choses de nature à traumatiser les hommes au front. Et les cas ne manquent pas. Ainsi, les soldats au front nous font part des cas de leurs collègues qui « ont pété un câble, qui sont devenus fous ». « Or, nous n’avons que des infirmiers qui n’administrent que les premiers soins pour les blessures physiques. Il n’y a pas de suivi psychologique, même quand on rentre à Yaoundé, on rentre seulement chez nous, sans entretien avec un psychologue,…», affirme un sous-officier.  

« On ne ressent pas les dons que vous envoyez là.. ! »

L’autre plainte des soldats au front est qu’ils ne ressentent pas de différence véritable depuis qu’on a lancé « la mobilisation nationale » pour leur envoyer des vivres. « Depuis qu’on voit à la télé que vous envoyez les dons là (…) nous ici on ne ressent pas de différence, on ne ressent rien ! », se plaint un soldat. Et un autre de s’interroger, « vous cotisez la nourriture tous les jours là-bas à Yaoundé,(…) que l’Etat était déjà incapable de nous nourrir ? ». Il revient alors une fois de plus à la surface les questions quant à l’opportunité et la transparence autour des denrées collectées dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Il faut dire que l’histoire récente avec les scandales comme celui du « coup de coeur » de 1994 ne sont pas de nature à rassurer.

© Le Jour : Flore Edimo

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