Désordre urbain:Pourquoi les commerçants préfèrent vendre sur la chaussée ?
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Bien qu’ils soient à chaque fois chassés de force par la police municipale, les commerçants installés sur la chaussée et les trottoirs sont décidés à trouver leur pitance. L’entêtement est tel qu’on se demande ce qui pousse ces vendeurs à la sauvette à revenir sur la route à chaque fois qu’on les déguerpit ? Qu’est ce qui fait problème et y a-t-il des solutions à ce phénomène qui tant à être banal ? Tentative de réponses dans cette enquête de Christian Happi.

Quand la chaussée se transforme en comptoir

Il est devenu coutumier pour les commerçants d’encombrer les routes avec leurs marchandises, créant des interminables bouchons.

Le tronçon rond point Madagascar est habitué aux interminables embouteillages. Un phénomène qui perturbe la circulation des piétons à ce niveau de Douala 3ème. En cause, les commerçants installés le long des trottoirs et de la chaussée avec leurs marchandises. Cette situation prévaut ici depuis de longues années, plus précisément au lieu dit « Commissariat du 8ème arrondissement ». En ce début de semaine de mi-mars 2015, le passage piéton est saturé par une horde de vendeurs à la sauvette qui n’hésitent pas à apostropher les passants. Presque tous ont des marchandises (chaussures, sacs à main, vivres frais, vêtement…) qu’ils proposent à des prix assez flatteurs. Chacun essaye au maximum d’attirer l’attention vers lui : « Asso, il faut demander ! Le prix est bon, venez me tromper ! », entend-on dans la foulée.

Visiblement, il y en a pour tout le monde : hommes, femmes, enfants. Seulement, les commerçants de ce marché prisé ont carrément enterré les bonnes habitudes. Ils ne respectent plus les limites qui leurs sont recommandées par le régisseur du marché. Encore moins les règles d’hygiène. Sous une chaleur accablante, les clients sont souvent obligés de faufiler entre les commerçants avec le risque de renverser leurs marchandises installées à même le sol, pour regagner l’autre bout de la route. « Il faut vraiment être prudent quand on passe par ici ; le moindre faux pas vous met dans des problèmes », prévient un riverain.

Du côté des marchés Central et Nkoulouloun, la situation est tout aussi préoccupante. Comme dans le précédent espace marchand, les vendeurs ont pris en otage les parcelles prévues pour la circulation des personnes. Ils ne craignent personne, même pas les agents de la police municipale qui sillonnent régulièrement les lieux. Au lieu dit « Gazon », plusieurs commerçants ont largement ouvert leurs parasols qui les couvrent du soleil ou de la pluie, en saison pluvieuse. Ils y écoulent leurs marchandises, en toute quiétude, sous le regard complice des agents de la police. Se frayer un chemin dans ce parterre devient donc une équation à multiple inconnus. L’occupation des trottoirs et chaussées freine non seulement les piétons, mais aussi les conducteurs des engins à deux et quatre roues. Les klaxons assourdissants des voitures et motos témoignent de l’encombrement de la chaussée, lance un taximan bloqué sur un feu vert. « Il est très difficile pour un mototaxi de circuler dans ce marché normalement ; il faut à chaque fois éviter de heurter un piéton ou de renverser la marchandise de quelqu’un », souligne un conducteur de moto taxi.

Il y a quelques mois, le carrefour Ndokoti comptait des morts, un violent accident de circulation avait coûté la vie à des vendeurs à la sauvette installés sur la chaussée et le trottoir. Plusieurs morts sur le carreau. Quelques temps après cette mésaventure, le carrefour a remis ses mêmes vieux habits. Ce jour, les vendeurs de CD et de friperie se bousculent pour avoir une place sur le trottoir. Mêmes les assauts répétés des agents de la police municipale n’ont pas suffi pour les décourager. Pourtant, il arrive de fois que leurs articles soient confisqués et brûlés au vu et au su de tout le monde. « Nous n’avons d’autres endroits où aller ; on est obligé de s’installer ici pour avoir notre gagne-pain », lance un vendeur ambulant. Pis, « nous avons eu à perdre deux personnes dans ce marché à cause des voitures ; c’est pourquoi nous demandons aux vendeurs de se trouver une place à l’intérieur du marché », se souvient l’un des responsables du marché Dakar.

Raisons

Les commerçants accusent l’engorgement des marchés

Pour ces derniers, il n’a pas assez de place dans les espaces marchands et en plus vendre sur la chaussée leur permettraient de mieux se rapprocher de la clientèle.
Les « commerçants de la chaussée » n’en ont pas fini de donner des raisons, qui les contraints à encombrer les voies de passages des véhicules et piétons. Pour ces derniers, les espaces aménagés dans les marchés ne sont plus suffisants. Une situation qui est confirmée par la présidente du Syndicat des commerçants détaillants du Wouri (Sycodew), Alice Maguedjio. A en croire cette dernière, les marchés construits dans la capitale économique, souffre d’un réel problème d’engorgement. A titre d’exemple, les 300 boutiques que compte le marché Madagascar sont déjà toutes occupées. Idem pour le « marché des femmes » où les 1500 boutiques sont louées par 3 000 commerçants, apprend-on des responsables desdits marchés.

Et, dans les quelques marchés qui disposent encore d’espace, les « commerçants de la chaussée », estiment que le coût de location des boutiques et comptoirs est « exorbitants », surtout l’avance exigé par les bailleurs. Au marché « des femmes » basé dans la circonscription de Douala 2ème, l’on apprend que pour occuper une boutique, il est exigé au commerçant des avances de loyer qui oscillent entre 240 000 FCFA et 300 000 FCFA. « C’est surtout l’argent qu’on demande qui décourage les uns et les autres. Imaginez un instant que vous décidez d’aller louer une boutique qui coûte 20 000 FCFA le mois et que l’on vous exige de payer un an, soit 240 000 FCFA. Où allez-vous prendre une aussi grosse somme ? », s’indigne Martial D, vendeur à la sauvette.

Si l’avance est versée par le commerçant, les frais de location deviennent plus ou moins abordables. Au « marché des femmes » par exemple, un vendeur ayant réglé son avance, paye désormais par mois, environ 30500 FCFA pour louer une boutique. Cette somme étant répartie comme suit : 25 000 FCFA pour les frais de location mensuelle, 3500 FCFA pour la quittance d’électricité et 2000 FCFA pour les frais de gardiennage. Des dépenses dont les vendeurs à la sauvette ne sont pas pour bon nombre prêts à payer. « Mon fonds de commerce n’excède pas 20 000 FCFA ; me demander de louer une caisse à l’intérieur du marché est suicidaire », confie Marie-Claire Djamgoué, détaillante de poissons frais installée sur la chaussée au « marché des femmes ». Au marché Dakar, le coût d’achat des boutiques oscille entre deux et trois millions de FCFA et tout dépend de l’emplacement. En plus, « le prix de ces boutiques à vendre ont connu une surenchère, car il n’a pas assez de boutiques », relève un commerçant, confiant avoir déboursé 10 millions de FCFA pour acquérir la sienne

Mais, pour les vendeurs à la sauvette qui peuvent supporter le coût des loyers des boutiques, le recours à la chaussée s’explique par le désir de se rapprocher un peu plus des clients. « Les gens ont souvent la paresse d’entrer à l’intérieur du marché, préférant acheter au bord de la rue », analyse Françoise T, détaillante de vivres frais. D’ailleurs, Eveline Takizem, vendeuse de l’huile de palme au marché Madagascar, « vendre sur le long de la voie publique me permet de vite écouler ma marchandise », lance-t-elle.
A en croire Moussa, vendeur des produits vivriers installé sur la chaussée, le commerce sur la chaussée perdure avec l’aide des forces de l’ordre qui profitent de l’incivisme des « commerçants de la chaussée » pour se mettre plein les poches. « Les policiers et autres agents qui sont chargés de nous chasser de la chaussée ne font pas leur travail ; il est souvent arrivé que les vendeurs cotisent de l’argent pour leur remettre afin de vendre sans quiétude », confie le vendeur, conscient qu’il exerce dans l’illégalité. Du coup, plus personne pour sanctionner, même si les déguerpissements de Ntonè Ntonè, délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Douala (CUD), se multiplient. Sans grand succès.

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Les « vendeurs sur la chaussée » n’échappent pas aux impôts

Bien qu’installés sur la chaussée, les vendeurs à la sauvette ne sont pas exempts de tous taxes ; ils payent chaque jour 100 FCFA au titre de l’impôt mensuel.
Aucun espace des marchés de la capitale économique camerounaise n’est exploité gratuitement. Même les commerçants occupant les abords du marché Central ne sont pas exempts de toutes taxes. Selon eux, ils payent chaque jour l’OTVP (Occupation temporaire de la voie publique) et l’impôt mensuel qui s’élèvent cumulativement à 200 FCFA par personne. Pareils pour les vendeurs à la sauvette des marchés Madagascar et Ndogpassi qui versent quotidiennement dans les caisses de la mairie de Douala 3ème 100 FCFA, au titre de l’impôt libératoire. « Cela fait 10 ans que je vends dans cette rue et je peux vous certifier que j’ai toujours payé mon ticket », confesse Jean Pierre D., commerçant.

Marchand des produits vivriers au lieu-dit saint Agnès, sis au quartier Dakar, Corine Anne N. dit également s’acquitter de cet argent. « Je le fais non pas par envie, mais juste pour avoir la paix avec les agents de la commune », explique-t-elle non sans dire qu’il lui arrive de déjouer la vigilance des agents de la municipalité. Une situation souvent à l’origine des prises de becs entre commerçants et responsables des différents mairies qui saisissent des marchandises. « Ne me demandez pas de payer un ticket de 100 FCFA alors que je n’ai pas vendu grand-chose tout au long de la journée », prévient Félix Dongmo, marchand de babouches. Comme lui, nombreux sont les vendeurs qui refusent de payer chaque jour leur OTVP ou ticket. « Je suis sûr que cet argent va dans la poche des individus qui cherchent à s’enrichir sur le dos des pauvres camerounais », estime un détaillant du marché Nkololoun.

Cela dit, la perception de l’impôt mensuel par les mairies n’est pas du goût des responsables des marchés de Douala. Selon Ekeh Epi, régisseur du marché Madagascar A, cet argent devait en principe être versé dans les caisses des marchés. « Ces gens ne vendent ici parce qu’il y a un marché à côté ; c’est ça qui les attire », affirme-t-il. Dans le même ordre d’idée, la Présidente des commerçants du « marché des femmes » pense qu’en percevant les taxes auprès de ces vendeurs à la sauvette, on légalise le désordre urbain. Une lecture que ne partage pas Jean-Robert Wafo, conseillé SDF à la mairie de Douala 2ème, soulignant que l’argent perçu entre dans le cadre de l’impôt libératoire. « Que voulez qu’on fasse ? Qu’on demande aux gens d’aller rester au quartier ? Ce n’est pas de leur faute si l’Etat n’a pas pris des mesures pour créer des marchés structurées », rétorque-t-il. Les mairies veulent donc tirer en masse de l’illégalité qui s’est crée dans le secteur du commerce de détail.

N’empêche, les commerçants placés sur la chaussée font de la concurrence déloyale à ceux installés dans les marchés. Mieux, ils ont aussi l’avantage de ne pas avoir beaucoup de charges et « peuvent même vendre leurs produits à un vil prix ; l’important est de vite finir », s’indigne Alice Maguedjo, Présidente du Syndicat des commerçants détaillants du Wouri(Sycodew). Tout aussi courroucée par cet incivisme, Jacqueline Ketchemé, coordinatrice du marché de Madagascar, affirme que les vendeurs à la sauvette sont obstinés et refusent volontairement de prendre une place dans le marché. « Ceux qui vendent à l’intérieur du marché ne sont pas mieux nantis que ceux de l’extérieur ; c’est juste un problème de volonté », analyse-t-elle.

© christian-happi.over-blog.com/ : Christian Happi

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