Comment les Wade m’ont cocufié.
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Karim Wade a été condamné, lundi 23 mars, à six ans de prison pour "enrichissement personnel". Comme il est éloigné ce temps où notre chroniqueur, Jacques Marie Bourget, assistait aux débuts prometteurs d'Abdoulaye Wade, le père de Karim, qui se rêvait en Lumumba. Récit d'une tromperie.

L’écran de télévision est un peu comme la face d’un aquarium, ça bouge, ça attire l’œil et pas toujours pour des raisons qui méritent que la pensée s’y arrête. Et soudain, paf, c’est le petit bonus, des images cueillies au vol et qui ont beaucoup de sens. Ainsi, endormi ou presque, entre la relation du dernier exploit d’un club de foot propriété du Qatar et le moulin à paroles agité par Manuel Valls en Gambetta, en sauveur de la République, voilà la perle. Le vieux clown Wade fait des siennes, dans une tenue radicalement islamique, Abdoulaye annonce que son fils Karim vient d’être désigné par le PDS, le parti « Sopi », comme candidat à la prochaine présidentielle !

Un moment comique au sens donné à cet art par Ionesco, drôle par l’absurde. Il faut savoir que le « candidat » Karim est en prison depuis avril 2013, accusé d’avoir volé 178 millions d’euros à l’Etat. L’Afrique est riche en personnages: Mandela, le leader conduisant la révolution depuis son cachot; mais aussi Karim Wade, grand voleur Cette résistible ascension de Karim me touche car j’ai assisté, en politique, aux premiers battements d’aile de ce garçon qui n’est pas le fils de personne.

Souvenirs, souvenirs

Nous sommes au printemps 2000 et Abdoulaye Wade vient de remporter la présidentielle. Mon journal m’expédie  à Dakar. Au téléphone une attachée de presse me convie à la petite maison avec piscine où habitent les Wade. Sortant d’un taxi, le temps de chasser la poussière de mes chaussures, je pénètre dans la villa, désormais présidentielle. S’agitent là quelques techniciens de télévisions qui ont un talent particulier pour occuper tout l’espace pour pas grand-chose. Un instant je me retrouve dans le sillage d’un immense monsieur noir, et costaud, qui porte une grosse valise. Je m’entends interpeller :

« He vous, là, vous n’êtes pas capable de porter vous-mêmes votre bagage ? »

Je crois que l’interpellation s’adresse à un autre, et file vers une petite femme blonde et mince qui relance sa question…. Viviane Wade, la « présidente ». Je lui signale que je ne connais ni le monsieur ni la valise, ce qui me libère d’une réputation naissante de cruel colon.

Le malentendu passé, je vais vivre, hormis la nuit, quarante-huit heures chez les Wade.

Le sauveur du pays

C’est dans ces moments que je vais prendre la plus grande leçon de ce qu’est la rigueur, la loyauté, l’honnêteté en politique. C’est d’abord Viviane, blanche fille de Besançon, qui me conduit au marché. En route elle me confie que son mari va sauver le pays en le gérant comme on gère l’état en Suède ou en Norvège. Chaque sou est compté, pisté, répertorié et son usage ne peut échapper à l’œil des citoyens, tous égaux bien sûr. Je suis si épaté par le programme que, trop précipitamment,  j’en dis le plus grand bien à mes lecteurs…

Puis c’est Karim, sur la plage nous partageons un poisson grillé et ce jeune banquier ajoute un couplet à la chanson de famille. M’explique que son père sera la synthèse de Saint Just  et De Gaulle.  C’est ambitieux, mais pourquoi ne pas se fixer des rêves ?

Autour du poisson aussi, ou au bord de la piscine, Sindiely, la fille des Wade. Une merveille. Douce belle et bien instruite. Elle aussi pousse le char familiale de l’anticorruption. Dans ces instants, on se sent bien. On se dit, « je suis en Afrique qui a une tradition de corruption ouverte, contre celle de l’Occident ou le vice est caché, et voilà un homme, une famille qui va balayer ça ! » Au Sénégal, sur ce thème, il y a un lourd chantier. Le responsable de la SNCF locale ne vient-il pas de vendre nombre de rails de son réseau à des ferrailleurs japonais ! Transformant le chemin de fer en chemin de terre.

Papa Wade, le sage

Abdoulaye Wade se montre intransigeant sur le respect des biens collectifs et le partage du bonheur. Très vite l’histoire montre que Wade n’a pas Lumumba comme modèle, mais Mobutu. Avec Karim aux manettes, les dossiers à l’odeur d’argent remontent à la surface comme des poissons morts d’une eau sans oxygène. Le rêve n’a pas eu lieu et la folie était au rendez-vous jusqu’à cette autre décision à la Ionesco, celle de faire construire par la Corée du Nord un monument ridicule et gigantesque au coût estimé de 23 millions d’euros. Avec, pour visiter ce grotesque, des visiteurs payants et 35% du prix du ticket tombant dans la poche de Wade lui-même. Comme quoi il faut attendre le déroulement des actes et non  applaudir la lecture du programme.

J’en veux beaucoup aux Wade pour leur mensonges, leurs tromperies alors qu’ils se posaient en prêcheurs de leçons. Les Wade m’ont fait cocu, et ça ne fait rire que les autres.

© mondafrique.com : Jacques Marie Bourget

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