Cameroun: Sociologie politique de la marche du 28 février en soutien aux forces de défense et de sécurité
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Cameroun: Sociologie Politique De La Marche Du 28 Février En Soutien Aux Forces De Défense Et De Sécurité :: Cameroon

La marche du 28 février 2015 à Yaoundé, en soutien aux Forces de Défense et de sécurité et aux populations du Nord Cameroun a eu lieu. Elle a cristallisé l’opposition entre les pros marches et les antis marches, contrairement aux marches organisées à Ebolowa le sept février, et à Douala le premier février.

Les pros marches brandissaient comme arguments :

* la nécessaire manifestation de la solidarité à l’égard des populations affectées par les incursions en territoire camerounais de Boko Haram

* la volonté de rendre manifeste le soutien aux Forces de Défense et de Sécurité

Face aux pros, les anti mobilisaient deux arguments tenant davantage à la forme qu’à la légitimité ontologique de la marche :

* la date choisie relevait d’un calcul politique et social mesquin. Elle coïncidait avec une « journée informelle » de célébration des martyrs des émeutes de la faim de 2008, et de ce fait, le soutien présent faisait concurrence et ombrage à la commémoration d’hier.

* Les organisateurs étaient des chevaux de Troie, pilotés en sous main par des ministres en place. L’opacité sur les financements reçus n’étant qu’une circonstance aggravante de cette « troiisation » journalistique

Revenir sur les arguments développés par les uns et les autres permettra d’en évaluer la validité.

Était-il indispensable de se mobiliser ?

Depuis le 17 mai 2014, le Cameroun est officiellement en guerre. Une guerre qui nous est imposée par la secte islamiste Boko Haram. Les premières victimes des incursions de cette secte sont nos concitoyens du Nord Cameroun. Les enlèvements, les tueries, les déplacements font désormais partie de leur quotidien. En première ligne de la réponse mise en place, les Forces de Défense et de Sécurité ainsi que leur chef ; le Président de la République. Les attentats déjoués sont la preuve de l’efficacité de nos services de renseignement. Si les kamikazes de Boko Haram n’ont pas encore sévi sur le territoire camerounais, le mérite leur revient. Les attaques repoussées sont le fait de nos troupes d’élites qui continuent de payer le tribut de cette guerre de manière courageuse. Enfin, l’implication du Tchad ainsi que la mise en place progressive d’une réponse globale sont le fait du chef de l’Etat.

La mobilisation était-elle indispensable ? Pour répondre à cette question, il faut identifier l’enjeu de la mobilisation. Que le chef de l’Etat, les forces de défense et de sécurité ainsi que les populations du Nord soient en première ligne n’occulte pas le caractère national de cette guerre. De ce fait, la mobilisation est tout à fait légitime. Elle permet de conscientiser ceux qui pensent que la guerre c’est l’affaire du chef de l’Etat et de ses milices privées (qualificatif du BIR sur certains forums camerounais sur Facebook). En outre, elle permet à ceux pour qui la

guerre est loin de se sentir impliquer en la rendant présente. Enfin, la mobilisation permet à certains de rendre manifeste c’est-à-dire visible leur sentiment à l’égard de la guerre.

Le choix de la date du 28 délégitime-t-il la « grande marche » ?

La mobilisation contre Boko Haram parce que donnant lieu à une marche le 28 février est-t-elle en concurrence avec la célébration de la journée des martyrs du 28 février 2008 ? Cette question contient une question sous entendue ; les morts de février 2008 sont-ils des martyrs ?

En tout état de cause, que l’on soit mort parce que l’on revendiquait un prix du pain, plus en phase avec notre pouvoir d’achat est certes légitime, mais de là à passer pour un héros, ce serait travestir la notion même de martyr. La faim sauf à refaire l’histoire n’a permis à personne d’y rentrer. Ce n’est pas au Cameroun, un peuple qui ignore son histoire que cela commencerait. D’autre part, les émeutes de 2008, émeutes internationales au passage ont fait des morts durant plusieurs jours. Dès lors, il existe plusieurs possibilités de commémoration. Une semaine, ou une date autre que celle du 28. L’absence de consensus sur le format et la date de la commémoration doit se faire sans que certains, « historiens du web » ne décrètent deus ex facebook quelle est la date appropriée.

Plus fondamentalement, peut-on porter au panthéon des héros camerounais, les jeunes tombés sous les balles de nos forces de l’ordre en 2008 au même titre que nous le faisons de UM NYOBE, Ernest OUANDIE etc. ? Si pareille opération de martyrisation avait lieu, elle se ferait soit en déclassant les héros nationalistes de nos luttes d’indépendance, soit par une hyper héroïsation des morts de 2008. Dans les deux cas, ce serait une falsification grossière de l’histoire. Que l’on se souvienne de ces morts est une chose, qu’ils passent pour des martyrs est simplement inapproprié. La querelle mobilisation vs commémoration est donc de faible amplitude.

Si la question de la concurrence entre mobilisation et commémoration ne semble pas se poser, une autre affleure. La marche du 28 février s’est tenue à Yaoundé, ville abritant à la même date dans la soirée les Canal d’or, un évènementiel people récompensant les vedettes du paysage audiovisuel camerounais. Plusieurs personnalités ayant battu le pavé dans la matinée se sont retrouvée au Hilton, pour applaudir à tout rompre les récompenses de Stanley Enow et autres. Comment peut-on assumer cette continuité entre le sérieux de la mobilisation et la frivolité des Canal d’or ? Imagine-t-on Hollande au sortir de la marche du 11 février faisant une sortie cinéma ou allant aux victoires de la musique? Cette continuité assumée par certains participants est une maladresse. La marche comme forme de mobilisation a en effet une fonction sémiotique. Elle envoie un message que doivent décoder ses destinataires. Dans le cas d’espèce, le sérieux faisant partie des signifiés de la marche a fondu comme beurre aux lampions des Canal d’or.

Les organisateurs sont-ils des chevaux de Troie saucés au gombo ?

Les organisateurs ont-il servi en sous main un ministre ou plusieurs ministres en place dans l’organisation de « la grande marche » ? Certains éléments de langages et attitudes semblent attester d’une instrumentalisation du quatuor journalistique initiateur ou à tout le moins d’une collusion d’intérêt suspecte.

Certains journalistes appartenant au quatuor sont aujourd’hui les adjuvants du Chargé de Communication du Ministère de la Défense. Deux d’entre eux ont été embarqués sur la ligne de front. Ils abreuvent ainsi leurs amis sur Facebook de photos du front. L’essentiel des informations en provenance du front transitent par ces journalistes. Au-delà du nécessaire patriotisme qu’impose la situation actuelle, le manque de recul de ces journalistes est soit un manquement coupable à la déontologie professionnelle. Il est, selon les cas, une preuve d’amateurisme coupable ou encore de confondante compromission.

Enfin, le budget de la marche estimé au final à une soixantaine de millions semble avoir été bouclé par des donations. Cela est louable et logique.

Queen Fish, Sosucam et d’autres entreprises ont ainsi contribué à l’effort de guerre de manière transparente en mobilisant des tonnes de produits sortant de leurs usine pour le bien être de nos soldats. La transparence de cette opération ne semble pas avoir fait école auprès des organisateurs de la marche.

Nos journalistes sont bien en peine de nommer les différents donateurs. De là à penser que l’énonciation des donateurs dans l’espace public aurait décrédibilisé la marche, il n’y a qu’un pas que les esprits critiques ont tôt fait de franchir. Les chantres de la transparence ont perdu plumes et langues à l’heure de citer les financeurs de la marche.

Au-delà de ces débats sur la légitimité de la mobilisation et son organisation pratique, quatre aspects de cette marche m’ont paru problématique.

Le choix de la marche comme forme de mobilisation d’une part, l’accord d’une autorisation spéciale dans une ville au sein de laquelle les autorisations de marcher sont systématiquement refusées, l’absence d’un slogan mobilisateur, enfin le parcours court d’une si grande marche.

Le parcours court d’une si grande marche

Le syntagme « grande marche », choisi par le collectif pour nommer la mobilisation renvoie à deux ordres de grandeur. Dire de la marche qu’elle sera grande implique d’une part l’importance de la mobilisation mesurable à la participation de la population et d’autre part, la distance de l’itinéraire choisi. La marche sera dite historique, importante, marquante pour autant que la participation, grandeur mesurée sera importante. En la matière, la possession d’un étalon est de mise. Sous d’autres cieux, les chiffres de la mobilisation sont donnés par les participants et par les forces de l’ordre. Chacun appliquant une méthodologie de comptage propre. Au Cameroun, il n’existe pour ainsi dire pas une culture de la marche de sorte que police et organisateurs seraient bien en peine d’énoncer des estimations quantitatives sur le nombre des manifestants.

La marche de Yaoundé, fût si grande qu’elle avait pour point de départ le rond-point de la poste centrale et pour point d’arrivée le rond-point du premier ministère. Une grande marche pour un itinéraire digne d’une marchette, ce n’est pas la moindre des contradictions de la marche à laquelle nous avons assisté le 28 février. La mobilisation eut été baptisée grand rassemblement, cela aurait davantage fait sens

L’absence de slogan mobilisateur

La sociologie des mouvements sociaux, enseigne que la marche comme les autres formes de mobilisation ont une fonction sémiologique. Il s’agit au travers du dispositif choisi de faire passer un message. Dans le cas de la grande marche, le choix fût porté sur : « tous unis pour le Cameroun ». Mais est-ce là un slogan ? Y a-t-il un message digne d’être entendu par Boko Haram, la communauté internationale, les ennemis intérieurs du Cameroun. La marche comme mobilisation exprime déjà l’unité et l’union des cœurs et des esprits. Etre unis est le sous entendu de toute forme de mobilisation, car ceux qui manifestent représentent généralement davantage que les manifestants. On ne s’unit pas pour être uni, mais pour agir, peser dans la décision, impressionner par la détermination. Dès lors, il faut faire passer un message autre, exprimant la détermination. Un slogan fort et fédérateur, servant de bannière au-delà de la marche, appropriable par le plus grand nombre et déclinable sur différents dispositifs. Bref, un concept. La grande marche, qui a eu le mérite d’exister en a cruellement manqué. Ce qui est d’autant plus étonnant qu’elle fût initiée des journalistes, a priori spécialistes des bons mots, des petites phrases et des formules bien cisaillées et parfois assassines.

L’autorisation spéciale accordée : une collusion avérée

La marche du 28 février a obtenu une autorisation spéciale du sous-préfet de Yaoundé IIIe. A-t-on besoin d’une autorisation spéciale pour une marche. Sauf à considérer que les marches sont interdites, ce que ne dit pas la loi, une simple autorisation de marcher eu fait sens. Mais, monsieur l’administrateur civil principal, probablement sur ordre à délivrer une autorisation spéciale. Cela est d’autant plus surprenant que dans le même temps, des citoyens étaient empêchés de marcher pour protester contre les délestages made in eneo. Une sociologie historique des mobilisations donne à voir une sélectivité suspecte des autorisations à manifester sur toute l’étendue du territoire national. Sous prétexte de troubles à l’ordre public. Les seules manifestations autorisées sont le fait des sympathisants du régime. Toute manifestation pour des motifs sociaux ou politiques avorte faute d’autorisation. Le MINATD et ses adjuvants se sont mués en fossoyeurs des libertés publiques ; 1962, retour vers le passé. De ce fait, l’autorisation obtenue rend suspecte cette marche qui aurait pu avoir lieu sans autorisation.

La grande marche ou les limites du mimétisme

Plus fondamentalement, le répertoire d’action collective comporte une multiplicité des dispositifs de mobilisation. D’où la question de savoir, au regard du contexte camerounais, la marche, si grande fût-elle, était-elle le dispositif idoine ? Avant de répondre à cette question, il faut avoir présent à l’esprit le contexte dans lequel naît l’idée de la marche. Au lendemain de la marche du 11 janvier à Paris ayant rassemblé quarante quatre chefs d’Etats et de gouvernements, à la suite des attentats de parisiens, les camerounais s’interrogent sur les réseaux sociaux. Beaucoup se posent la question légitime d’une mobilisation similaire alors que nous sommes en guerre contre Boko Haram. Saisissant la perche qui leur est tendue – la nature ayant horreur du vide – nos journalistes élaborent le projet d’une marche à Yaoundé, sur le modèle de la marche parisienne. Ce faisant, ils apportent une solution, là où une question n’a pas été posée. En choisissant la mimésis, nos journalistes font la preuve de leur manque de culture mobilisatrice. Charles de Tilly nomme répertoire d’action collective l’ensemble des dispositifs de mobilisation possible. Chacun ayant sa spécificité et pouvant être une réponse adéquate pour une situation précise. Dans le cas du Cameroun, il n’y a aucune identité de fait entre la guerre contre Boko Haram dont personne ne sait quand elle prendra fin, et des attentats, qui, pour avoir eu lieu, sont des évènements crisologiques ponctuels. Dès lors, la

marche, adaptée pour dire nous ferons fronts, fait sens en France alors qu’elle ne correspond aucunement à la temporalité d’une guerre exigeant une mobilisation manifeste et durable. Néanmoins, personne ne demande aux journalistes de devenir spécialistes des mouvements sociaux fussent-ils journalistes politiques !

Et quand la marche finit, que reste-t- il ?

Sauf à multiplier les marches, la fin des marches sonne-t-elle comme l’épilogue de la mobilisation ? Car, s’il faut se mobiliser, il importe que la mobilisation dure non pas le temps des fleurs, mais le temps que durera la guerre. Dès lors, une marche ne s’inscrivant pas dans un plan d’action de longue durée tombe là comme un cheveu dans la soupe. Sauf, à souper de la marche, ce qui compte, c’est ce qu’il reste lorsque la marche est terminée. Et dans cette perspective, le collectif « tous unis pour le Cameroun » est sans perspective.

© Correspondance : Patrick Rifoé

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