Ces quadras qui préparent l’après Paul Biya
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Dans un pays où la moyenne d’âge des dirigeants oscille entre 60 et 80 ans, des jeunes des partis d’opposition rêvent de changer démocratiquement le Cameroun. À une seule condition : le président Paul Biya, 82 ans, doit quitter le pouvoir en 2018. Maires, porte-parole ou cadres de partis politiques, ils ont chacun une idée qu’ils espèrent « innovante ». Ils se prononcent sur tout : corruption, chômage des jeunes, Boko Haram. Ces jeunes politiciens ont des forces, et surtout des faiblesses qui peuvent leur être fatales dans la jungle politique où ils évoluent.

Achille Azemba, 44 ans, adjoint au maire du Social Democratic Front

Dans la vaste commune d’arrondissement de Douala IIIe, dans la capitale économique du Cameroun, Achille Azemba est le plus jeune élu de la mairie, dirigée par le Social Democratic Front (SDF), principal parti d’opposition du Cameroun, dont il est membre. Ce sixième adjoint au maire n’éprouve pourtant aucune fierté à être le « benjamin ». « Je ne rêve pas d’un Cameroun où c’est lorsqu’on est âgé de 95 ans qu’on peut assumer des responsabilités, s’énerve-t-il. Il faut des jeunes à des postes ministériels. Il faut faire confiance aux jeunes. »

Ce quadra considère que « Paul Biya et sa génération qui tirent vers la fin sont en grande partie responsables de la situation actuelle » où se trouve son pays. Il s’insurge d’ailleurs contre ces « vieux » ministres de la République qui ne parlent, ne jurent et ne prennent des décisions « qu’au nom de Paul Biya ».

« Je n’attends pas que le maire titulaire me charge d’un dossier. Je dois initier des projets, les défendre et servir la population qui m’a élu », explique-t-il. Le Cameroun, il le voit en 2018 sans Paul Biya et avec d’autres mentalités. Selon lui, l’opération anti-corruption Epervier, lancée en 2004 sous la pression des bailleurs de fonds internationaux et censée traquer les détourneurs de fonds publics n’est que du pur folklore. « Comment peut-on expliquer que des proches collaborateurs du chef de l’Etat avec qui il a passé de nombreuses années, sont passibles de détournements et pas lui ? s’interroge le jeune maire. Que fait-on des milliards de francs CFA récupérés ? L’Etat devrait investir cet argent dans la recherche dans les universités, la création des bibliothèques et financer les microprojets des jeunes. »

Franck Essi, 31 ans, secrétaire général du Cameroon’s People Party

« A travers Paul Biya, c’est tout un système qui doit être dégagé. Il faut une véritable révolution démocratique pour nous permettre d’avoir un bon système de gouvernance. » Pour Franck Essi, secrétaire général du Cameroon’s People Party (CPP), autre parti d’opposition, l’avenir de son pays passe par un « changement démocratique ». « Il faut réécrire la Constitution de façon à ce qu’il y ait un bel équilibre des pouvoirs. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui car le chef de l’Etat est le chef de tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) », déclare celui qui fut le plus jeune candidat (malheureux) à la députation lors des législatives de septembre 2013 dans la très convoitée circonscription de Wouri-Centre à Douala.

Né le 4 mai 1984, Franck Essi explique que si les ministres et autres gérants de la fortune publique rendaient compte de leur gestion à tout moment, il y aurait moins de problèmes de corruption et plus de projets pour les jeunes. Pour changer le Cameroun, Franck en est conscient, il faut amener la population « craintive », à « s’engager publiquement », « pousser les jeunes à s’engager en politique » et surtout, fédérer la masse de leaders en « une seule force » pour faire face au pouvoir. Un défi que ce « mordu de démocratie » est prêt à relever. Sa principale faiblesse ? Comme de nombreux leaders d’opposition du Cameroun, les moyens financiers manquent le plus. « Lors des élections législatives de 2013, j’ai fait ma campagne avec 15 millions francs CFA (22 800 euros) et mes adversaires avaient entre 600 millions et un milliard (entre 912 000 et 1 520 000 euros). Même la possibilité de porter mon message dans les autres circonscriptions était limitée », se désole-t-il.

Valséro alias « Général », 38 ans, porte-parole de Croire au Cameroun

En 2008, Valséro s’est adressé à Paul Biya sous forme de chanson intitulée « Lettre au président ». Le rappeur lui demandait alors « de faire son travail », de revoir la situation « des jeunes qui en ont marre ». Sa lettre est restée sans réponse. Les jeunes séduits par son style et son rap si proche de leurs réalités l’ont surnommé « Général ». Un an plus tard, il a écrit une autre chanson. Dans un rap dur intitulé « Réponds ! » pour implorer « le Roi lion » (surnom attribué au président camerounais Paul Biya) de voler au secours des jeunes qui souffrent. La réponse ? Un autre silence. En 2014, Valséro, de son vrai nom Gaston Abe, intègre le nouveau parti créé par l’ex-défenseur des agriculteurs, Bernard Njonga, Croire au Cameroun (CRAC), dont il est le porte-parole.

« J’ai décidé de m’impliquer en politique par ras-le-bol. J’ai constaté que rien ne changeait », lâche celui qui estime qu’au-delà de l’incompétence, la vieillesse a rendu les dirigeants actuels « psychologiquement, intellectuellement et physiquement inaptes » à diriger le Cameroun. Le Général n’épargne pas pour autant les jeunes de sa génération qui, pour lui, doivent cesser d’attendre tout du gouvernement. Même s’il reconnaît que le climat actuel ne favorise pas l’émergence d’une jeunesse en mal d’emploi. Selon des indications du Bureau international du travail, le taux de chômage et de sous-emploi au Cameroun avoisine les 75 %. « Le Cameroun a les hommes, la richesse et l’intelligence qu’il faut, assure-t-il. Nous n’avons pas les dirigeants qu’il faut ».

Sandrine Essoh, 23 ans, présidente nationale des jeunes du MRC

A 23 ans, Sandrine Essoh est la présidente nationale des jeunes du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), le parti de Maurice Kamto, ex-membre du gouvernement de Paul Biya qui a démissionné pour créer son parti en 2012. Son rêve ? « Changer à sa manière le Cameroun ». « J’aimerais que les jeunes prennent leur destin en main. Qu’ils s’inscrivent sur les listes électorales et choisissent les candidats qui prennent davantage en compte leurs aspirations », dit-t-elle.

« À mon avis, c’est peut-être le manque d’encadrement ou alors le découragement face aux difficultés qu’ils rencontrent qui pourraient refroidir ces jeunes », pense Sandrine Essoh, membre du MRC depuis son lancement. Que faire donc ? La présidente explique qu’il faut promouvoir le secteur privé et l’esprit d’entreprise chez les jeunes. Mais avant, il faut aller à la conquête du pouvoir tenu par Paul Biya. Et pour la jeune femme, peu importent les années que cela prendra, elle est déterminée à contribuer à « changer » son pays. Pour commencer, elle loue la « bravoure des soldats camerounais » engagés dans la lutte contre Boko Haram dans l’extrême-nord du pays.

Thomas Tayouo, 44 ans, conseiller du Modecna

Du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir, où il a passé près d’une décennie en tant que conseiller de plusieurs personnalités, Thomas Touyouo a retenu une leçon : « Pour changer le Cameroun, il faut être de l’autre côté », dans « l’opposition ». « Après 33 ans au pouvoir, Paul Biya est complètement fatigué. On n’a pas besoin de 10 mandats pour faire ses preuves », lance le chargé des affaires publiques du Mouvement démocratique de conscience nationale (Modecna), un parti d’opposition.

Comme solutions au chômage des jeunes, Touyouo, 44 ans, pense que l’Etat doit investir « considérablement dans l’agriculture » et encourager la formation professionnelle au niveau des universités. Au-delà de la guerre que livre l’armée camerounaise à la secte islamiste Boko Haram, Thomas Touyouo, explique qu’une « partie de la guerre », celle qui concerne les populations victimes, est « oubliée » par le gouvernement camerounais. « Les populations se déplacent. Les enfants ne vont plus à l’école. Que fait-on pour eux ? Il faut s’occuper de ces personnes-là, car la misère peut les pousser à s’allier à la secte », avertit le chargé des affaires publiques du Modecna.

© lemonde.fr : Josiane Kouagheu

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