Gaston et Eléonore : Au nom de l’Amour
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L’époux a perdu ses deux jambes dans un accident de travail. Sa moitié a bravé l’adversité et le dénuement pour lui témoigner son amour. Et si la Saint-Valentin n’était pas une fête vaine…

Rien ne laissait présager ce drame. Un soir de novembre 2012, Gaston Takam se précipite à son domicile sis au quartier Emombo à Yaoundé. Comme très souvent, ce « Moto Boy » en service à la société Fokou laisse un sac de macabo et de l’huile de palme pour son épouse Eléonore. « Fais moi un bon Ndole et du macabo malaxé, je rentre manger ce soir ». La jeune femme s’exécute et moins de 4h après, un copieux repas sort des fourneaux. Il est 19h. Epuisée, Eléonore s’allonge sur un canapé et anticipe sur les moments de volupté qu’elle s’apprête à vivre avec l’homme qui partage sa vie. Epuisée, trop épuisée, elle s’endort, certaine que le retour de son mari la tirera de son assoupissement.

Mais ce soir-là, Gaston ne rentre pas. A 3h du matin, Eléonore est réveillée par un coup de fil de son beau-frère qui habite le même quartier qu’elle. « T’es au courant ? » l’interroge-t-il. « Au courant de quoi ? » rétorque Eléonore. « Je veux que tu sois forte, Gaston a eu un grave accident à Pouma, ses jambes sont complètement broyées », lâche le beau-frère. Sonnée, Eléonore ameute les voisins, alerte son bailleur et crie dans la cour. Puis elle se ressaisit croyant à un de ces canulars si fréquents en cette période. Jusqu’au moment fatidique où elle se rend à l’hôpital de Pouma au chevet de son mari. A la vue de celui-ci, elle éclate en sanglots. Gaston a déjà les jambes amputées et est sous oxygène. « On a dû faire vite sinon il y passait », explique le médecin. Eléonore s’écroule. Inconsolable.

« Jamais je ne t’abandonnerai… je t’aime »

Mais d’autres patients et le personnel hospitalier lui font savoir que son mari a plus que jamais besoin d’elle pour s’en sortir. « Ce n’est point le moment de se lamenter », lui diton dans le bureau du médecin. Comme s’il avait saisi la conversation, Gaston interroge Eléonore dès son retour à son chevet : « Je veux que tu me dises la vérité, est-ce que tu vas me quitter ? ». Eléonore s’apprête à répondre quand elle est reprise par le médecin qui se trouve juste à côté. « Faites attention madame, cette question est lourde de sens », lâche l’homme à la blouse blanche. Juste un petit moment de répit et Eléonore lance : « Jamais je ne t’abandonnerai, jamais, parce que je t’aime. »

Cette phrase magique, Gaston l’entend encore résonner aujourd’hui. Ces mots angéliques ont bercé sa vie qui aurait pu n’être qu’un interminable cauchemar. Ces paroles gorgées d’un amour pur lui ont insufflé le souffle vital qui lui a permis de traverser tant d’obstacles. Aujourd’hui encore, il cherche des mots pour qualifier cet amour sans bornes : « Sans elle je serai certainement mort. J’ai été abandonné par tout le monde. La société Fokou pour laquelle je travaillais m’a laissé tomber. Ma famille s’est détournée de moi ; sans ma femme je n’en serai pas là », soupire l’homme de 43 ans dont les yeux scintillent dans la pénombre d’une pièce mal éclairée. « J’ai dû me battre toute seule, reprend Eléonore en cherchant son mari du regard. Plusieurs membres de ma famille m’ont conseillée de l’abandonner. On me demandait ce que je faisais avec un homme qui avait perdu ses deux jambes. J’ai traversé beaucoup d’obstacles, j’ai vraiment souffert et je continue de souffrir. Si je suis encore là c’est parce que je l’aime. »

Débrouillardise

Depuis cet accident tragique de novembre 2012, la vie du couple a complètement basculé. « Il a fallu faire des sacrifices. J’ai travaillé comme ménagère avec un salaire de 25.000 F.Cfa pour un loyer de 15.000. Nous vivions dans une petite pièce avec notre fille Brunelle. Je devais m’occuper de Gaston, le nettoyer quand il faisait ses besoins. En plus il fallait sortir trouver à manger pour toute la famille. » Sous la pression d’un bailleur qui ne voulait rien entendre des problèmes de cette famille dans le désespoir, Eléonore et son mari ont dû réfléchir autrement. « Mon mari avait acheté un terrain au village bien avant de commencer chez Fokou. Il a revendu ce terrain et nous avons pu construire cette petite maison sur un lopin de terre qu’il avait acquis ici à Nkolanga (à Awae, près de Mfou, ndlr). Nous y sommes depuis trois ans », déclare Eléonore.

A Nkolanga, le quotidien du couple est fait de débrouille pour joindre les deux bouts. Très connu dans le quartier, Gaston se livre à plusieurs petites activités qui lui assurent de modestes revenus. Il fait du « call box », répare des chaussures, vend de l’huile et de la tomate. « Il s’agit surtout pour lui de ne pas rester inactif », reprend Eléonore. Celle-ci continue de supporter l’essentiel des charges de la maisonnée. « Je braise le poisson tous les jours de la semaine. Je n’ai pas de repos, je suis obligée de me sacrifier pour le bien de la famille », indique-t-elle. Une famille qui s’est agrandie. Divine est arrivée en 2012, juste après l’accident de son père. Une autre épreuve difficile. « Après avoir accouché de ma première fille, j’ai perdu deux autres enfants dans des conditions difficiles.

Les médecins m’ont déconseillée de concevoir à nouveau. Je me suis mise sur pilule et comme je prenais du poids, j’ai décidé d’arrêter. On s’était dit qu’on y veillerait ensemble mais un jour après avoir bu quelques bières on s’est laissé aller. » Puis Divine est arrivée. Enceinte au moment où son mari est victime de cet accident cruel, Eléonore a encore dû braver l’adversité du sort. « Après mon accouchement par césarienne, Divine a été admise à la Fondation Chantal Biya alors que moi j’étais au Chu. Il a fallu mettre notre terrain en gage pour obtenir un prêt de 300.000 FCFA pour couvrir les soins d’hôpital. » Pourtant, Eléonore ne fait pas que se lamenter. Elle remercie la providence de lui avoir donné ce courage pour tenir auprès de l’homme de sa vie. Elle remercie aussi les âmes charitables qui ont jalonné son parcours. « Beaucoup de gens nous ont aidés, s’exclame-t-elle. Quand j’étais internée après mon accouchement, ma voisine passait des nuits à l’hôpital avec moi. Elle s’occupait de moi, me nettoyait chaque matin.

Avec l’argent de ration que lui donnait son mari elle préparait pour mon mari et moi. Il y a aussi eu cette dame qui m’a permis d’inscrire Divine dans une école privée à 30.000 FCfa alors que la pension est de 90.000. Depuis trois ans que je vis ici à Nkolanga, je n’ai pas payé un franc pour la lumière, mon voisin nous donne l’électricité gratuitement. » Ce couple qui aurait pu sombrer dans la déprime a donc des raisons de croire. S’appuyant sur ses mains qui l’aident à se déplacer, Gaston esquisse un sourire : « Chaque fois que je vois que ma femme est là, que mes filles vont à l’école, je me dis que Dieu ne m’a pas abandonné, leur amour me fait vivre. » Et quand Gaston se tourne vers Eléonore, il a toujours ce regard doux et attendrissant, presque coupable.

« Je veux simplement lui dire de garder courage, glisse-t-il en baissant la tête. » Comme s’il savait que le meilleur était à venir. Comme s’il était persuadé que cette fille croisée au détour d’une rue à Bafoussam en 2000 – et à qui il avait spontanément dit « je veux t’épouser »- était fatalement faite pour lui. Un soir après le boulot, Gaston a connu un drame. Mais ce même soir, il a aussi trouvé l’amour… le grand Amour. « C’est avec ma soeur que j’ai compris que l’amour existe », nous confie Papi, le beau-frère d’Eléonore qui écrase une larme d’admiration pour sa soeur cadette. Au nom de l’Amour !

© Le Jour : Hiondi Nkam IV

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