Le Cameroun à la recherche de la sacralisation de l’Etat-Nation face à la menace de Boko Al Haram
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Le Cameroun à la recherche de la sacralisation de l’Etat-Nation face à la menace de Boko Al Haram :: CAMEROON

Au Cameroun, l’Etat-Nation est né le 14 juillet 1884 avec la levée des couleurs allemandes sur le plateau Joss à Douala. Très peu de chercheurs enfermés dans une anthropologie africaine plus qu’africanistes ont du mal à partager ce point de vue. (cof. Nos échanges à ce sujet avec le professeur Charlemagne Messanga Nyamding). L’espace-public camerounais lui aussi a une date de naissance, c’est l’ouverture de la première école par les missionnaires jamaïcains et écossais Joseph Merrick (noir jamaïcain) et Alfred Saker (Ecossais) en 1844. Cependant aucun document n’a jamais été rédigé dans ce sens-là pour définir le principe de nation associé à la souveraineté nationale et au principe même de citoyen qui lui découle de l’Etat. L’espace public mis sur pied donc par l’école missionnaire et protestante se révèle être le terreau sur lequel 40 ans après (1884) les Allemands vont donner naissance à l’Etat-Nation camerounais.

Ce que les allemands font dès leur installation dans ce territoire qui ne porte pas encore le nom qui est le sien aujourd’hui, est de lui donner des frontières. Ce que beaucoup ont appelé la campagne de pacification a été une longue guerre opposant les Allemands aux chefs des différents territoires, du nord au sud, de l’est à l’ouest, les peuples de l’intérieur des terres, des noms ressortent et certains sont retenus par l’histoire du Cameroun, à Yaoundé, Omgba Bissogo (un Mvog Beti et non un Mvog Ada comme certains s’évertuent à le mentionner encore), Bangwa Assongayi, Lock Priso à Hichory Town (l’actuel Bonabéri), le roi Galega de Bali, Nguelemendouga (mieux Nguele et sa sœur Mendouga) chez les Maka de l’Est, les lamibés Bouba Ndjida (d’où le parc du même nom aujourd’hui avec ses éléphants entre autres), Moham de Tibati, Oumarou de Banyo, Mbida Mengue chez les Mbida Mbani, Manimben Tombi chez les Banen. Nous devons mentionner aussi les noms des grandes chefferies de Bana, Bandoumkassa, Bankondji, les chefs Babouté de Ngima du côté de Ngoro, de Ngambé Tikar. Ils ne sont pas si nombreux pour ne pas les citer tous, je mentionne ces noms justement qui sont ignorés par l’histoire de notre pays afin que les jeunes gens d’aujourd’hui les gravent en lettre d’or dans le Cameroun qui est le leur ou dans celui qu’ils projettent de construire. Le Cameroun n’est jamais apparu rien que comme Nation et rien que comme Etat, il est apparu comme Etat-Nation dans ce que je m’évertue à qualifier de co-engendrement d’Etat-Nation au Cameroun dans un territoire qui pour les allemands était loin s’en faut un protectorat de peuplement. C’est le contraire de ce qui se passait dans les colonies françaises, anglaises, Italiennes et Belges. Les Allemands, les Portugais et les Espagnoles sont arrivés en Afrique comme les français au Canada, les Anglais et les Français aux Etats-Unis. Pour s’y installer et non pour repartir. C’est aussi le cas des Français en Algérie ce qui est le contraire notamment au Maroc et en Tunisie pour être tout à fait complet là-dessus. C’est ce qui va d’ailleurs justifier la très longue guerre de décolonisation en Algérie avec les conséquences que nous connaissons jusqu’à ce jour.

L’objectif de Nachtigal et de ses compagnons a donc été en premier de dessiner un territoire qui devait avoir la même superficie que l’Allemagne de Bismarck. Les Allemands au Cameroun dans la barbarie et dans la cruauté créent des länder, choisissent parmi les quelques 300 langues qui sont alors parlées au Cameroun, 4 qui doivent être enseignées et qui pour eux devraient alors former le soubassement de la légitimité de leur pouvoir. (C’est ce que nous avons appelé la politique du Ein Reich, Ein Volk et du Ein Führer) Ils conçoivent et dessinent le port de Douala à l’équivalent de son homologue de Hambourg.

La défaite allemande à la première guerre mondiale a changé tous les plans et toute la philosophie qui animaient le peuplement et la construction du Cameroun. Il a fallu laisser la place aux français et aux anglais qui entre autre ont tôt fait du Cameroun une colonie d’exploitation. Les peuples ne travaillaient plus que pour la métropole, ne cultivaient et ne produisaient plus que pour ses gouverneurs, ses préfets et autres administrateurs. Ici c’est l’Etat qui précède la Nation. (A cet effet il est important de relire Renan pour comprendre pourquoi le Cameroun va perdre notamment Bitam qui est au Gabon aujourd’hui, pourquoi la Guinée Equatoriale n’est pas intégré au Cameroun.)

(C’est ici aussi que je souhaite intégrer la date du 11 février qui est la fête de la jeunesse mais qui en réalité correspond au référendum du 11 février 1961 organisé par les Nations Unies et qui voit le Cameroun septentrional se prononcer pour le rattachement au Nigéria. Le Président Ahidjo en plaçant la fête de la jeunesse ce jour, a certainement voulu que la jeunesse camerounaise n’oublie jamais que le Cameroun a perdu ce jour-là une partie de son territoire et de nombreux compatriotes.)

La France a bien dissocié pendant toute sa période d’administration du Cameroun, l’Etat et la Nation en construction. Au moment où le Cameroun accède à l’indépendance, et ce malgré les efforts des dirigeants de l’UPC et des autres partis politiques notamment de la partie anglophone du pays, il n’est pas facile de parler d’un modèle d’Etat-Nation au Cameroun. Il n’y a pas d’enracinement du pouvoir étatique dans la jeune Nation alors que l’Allemagne avait voulu qu’on ait continuellement recourt à la Nation comme catégorie de légitimation sans que celle-ci évoque un modèle d’ordre social et politique particulier.

Un siècle est insignifiant dans l’histoire des peuples et des Etats-Nations mais depuis l’indépendance du Cameroun, très peu de chercheurs ont travaillé à la sécularisation, à la domestication de l’Etat-Nation au point où l’on a fini par s’aligner tous derrière le concept de L’Etat importé de Bertrand Badie (Paris, Fayard, 1992). Pour Bertrand Badie assez rapidement l’Etat importé est devenu occidentalisation de l’Etat alors même que le concept est loin de s’appliquer à l’Afrique en général et au Cameroun en particulier où l’Etat et la Nation s’auto-engendre et il est difficile de parler d’importation. La faute est donc là, sur l’incapacité que nous avons eu à nous approprier un concept qui a pris racine sur le sol africain et camerounais. Les travaux de Norbert Elias sur la genèse de l’Etat notamment en Angleterre et en France sont là pour nous appuyer dans notre démarche.

Nos universitaires (diplômés), ont donc raté quelque chose d’important à transmettre, la construction et la consolidation tout au long des 60 dernières années de l’énoncé Etat-Nation alors qu’il aurait dû être une tâche majeure dans leur recherche et pour la classe politique aussi. Le savoir acquis dans les écoles occidentales ne s’est jamais transformé en savoir construit de manière endogène et pouvant être transmis pour que l’Etat-Nation au final soit la valeur première et le ressenti premier des peuples ou des citoyens.

Les politiques dès 1960 ont été les fossoyeurs de l’Etat-Nation. Ils ont travaillé à ne pas faire vivre des émotions, des souffrances et des émotions communes aux peuples. Les fissures tribales naturelles sont devenues des autoroutes construites et renforcées dans le discours, dans les institutions et même dans la manière d’être. L’étude des jeunes nations notamment en Occident nous montre qu’il y a des pays où plusieurs langues cohabitent pacifiquement avec des cultures différentes mais avec un seul et même destin. C’est le cas de la Suisse plus vieille, de la République Tchèque, de la Slovaquie. Ce qui était une richesse est devenu un réel handicap dans la construction du « nous-commun ».

Ce texte étant destiné essentiellement et uniquement à un site en ligne camer.be, je voudrais pour respecter la promesse faite ne pas le prolonger mais le suspendre là afin de permettre un échange. J’ai pris connaissance des remarques faites notamment par @Wiseman qui m’invite à écrire un livre. La réponse est simple, je souhaite un écrit accessible à tous et le plus rapidement possible. Nous devons écrire l’histoire de notre pays pour qu’elle soit accessible à tous. Cette page remplit cette condition elle est gratuite et moi-même je ne suis pas payé par Hugue Seumo. @Bifaka_Bilolo quant à lui souhaite que j’ajoute à mon travail un autre chapitre, celui consacré à « l’opposition qui n’arrive pas à offrir une alternative credible (sic) au peuple. » C’est intégré. Vous êtes donc 963 à avoir lu le premier acte de cette aventure que je voudrais interactive. Merci et à nous retrouver au troisième chapitre.

© Correspondance : Dr Vincent-Sosthène FOUDA

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