LES CAMEROUNAIS, CHARLIE OU LE PARADOXE DE L’IMMOBILISME.
CAMEROUN :: POINT DE VUE

LES CAMEROUNAIS, CHARLIE OU LE PARADOXE DE L’IMMOBILISME. :: CAMEROON

Dans cette tribune, l’auteur offre des pistes de compréhension aux réactions contre le mouvement «Je suis Charlie », né à la suite des attentats qui ont secoués la France récemment. Le mercredi 7 janvier 2015, la France est frappée en plein cœur, dans le 11ème arrondissement de Paris. Alors que la conférence de rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo s’achève, deux terroristes,  identifiés plus tard comme étant les frères Kouashi de nationalité française, d’origine algérienne, débarquent dans la salle de rédaction. Ils tirent sur des journalistes qui s’étaient retrouvés  comme à l’accoutumé pour exercer une activité qui faisait partie intégrante de leur quotidien et un combat pour lequel ils s’étaient engagés au péril de leur vie, celui de la liberté d’expression. Le vent d’indignation suscité par cet acte barbare à travers le monde a entrainé la naissance d’un mouvement connu sous l’appellation « je suis Charlie ». Un mouvement qui revêt plusieurs significations : Celui du droit à la liberté d’expression, celui de la condamnation de l’antisémitisme, du rejet du fondamentalisme islamique, de la protection des valeurs de la République française (liberté, égalité, fraternité, droit de vivre ensemble et de la lutte contre le terrorisme). Ce sont toutes ces causes qui sous-tendent ce mouvement qui a regroupé dimanche 11 janvier 2015 plus d’un million et demi de personnes à Paris, ainsi que de nombreux chefs d’Etats Européens et Africains.

Face à cet acte des djihadistes contre le journal Charlie Hebdo, il est possible d’ouvrir un débat sur la liberté d’expression. Jusqu’où Charlie Hebdo pouvait-il aller dans les caricatures du prophète Mahomet ? Sur cette interrogation, on pourrait également arguer que Charlie Hebdo n’a apporté aucune innovation, car si pendant longtemps les caricatures du prophète étaient interdites par l’islam, les premiers à avoir caricaturés Mahomet furent les musulmans eux-mêmes. Plus, même s’il est possible de penser que ces caricatures visaient une stigmatisation d’une catégorie religieuse, est-ce pour cela que ces journalistes méritaient ce destin tragique ? Non. Et certainement pas. Ces journalistes indiquaient depuis 2006 date des premières caricatures que leur travail ne visaient pas la stigmatisation (le journal aligné à gauche se battait contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations), mais plus tôt de montrer que l’islam était de plus en plus prise en otage par des intégriste.

Certains sous le prétexte d’une lecture manichéenne de la configuration géopolitique du monde se sont découvert défenseurs des intérêts du tiers-monde. Arguant que la France payait le prix de sa diplomatie arrogante en Afrique et au Moyen-Orient. Dans ce nouveau « panafricanisme de pacotille », les références ne manquent pas : Mali, République centrafricaine, Côte d’Ivoire et aujourd’hui Boko Haram. Comme si cette antillaise d’origine négro-africaine abattu à Montrouge, avait quelque chose à voir avec l’intervention au Mali. Comme si ces français d’origine juive qui se sont levés ce vendredi matin pour aller faire leurs achats à l’épicerie Hyper Casher et qui sont tombés sous les balles d’Ahmedy Coulibaly ont donné l’ordre à l’armé de Tsahal de massacrer des palestiniens. Le droit à l’indifférence voilà ce qu’ils revendiquent. 
Qu’est-ce que ces personnes reprochent à la France, lorsqu’ils parlent de  l’indifférence? Indifférence, soit disant parce que des gens meurent à l’Extrême-Nord du Cameroun sans que cela ne puisse susciter le même émoi ; Indifférence parce que l’armée française tue également des personnes en territoire étrangers ; indifférence soit disant parce que la France serait raciste. Mais qu’ont - t’ils fait du droit à la vie ? Ce droit qui n’a ni race, ni tribu, ni religion et encore moins d’ethnie.

C’est dans ce dernier registre que nombre de nos compatriotes ont plongé. Aujourd’hui fanatisés par  la chaine panafricaine « Afrique Média », ils ont rejeté le slogan « je suis Charlie » en signe de protestation et produits des images sur lesquels on peut lire  « Je suis notre armée » ;  «  Je soutien notre armée » ; « Je suis Baga » ; « Je suis Kolofata ». Une manière pour eux de s’insurger contre ce qu’ils considèrent comme la surmédiatisation des évènements de Paris ou encore refusant « un suivisme colonial ». Cette attitude pour la moins compréhensible, traduit fortement malgré tout une société marquée par un trait caractéristique des sociétés en faillite : l’immobilisme. 

La société immobile est une société embrigadée dans l’attentisme, le suivisme, l’incapacité d’innovation, la critique facile et le vide de la pensée. Ces traits contribuent au maintien d’une dépendance mentale qui réduit à néant toute capacité de relativiser les situations. Personne n’interdit à une société de pleurer ses morts. Tout Etat sentant ses valeurs attaquées, son intégrité menacée et sa souveraineté bafouée a le devoir de mobiliser tous les moyens en sa possession pour faire entendre sa voix. Chaque gouvernement investit de la légitimité du peuple a le devoir de protéger ses citoyens quel que soit les moyens à mobiliser. Il est dès lors surprenant de voir des compatriotes s’indigner face à la mobilisation citoyenne et médiatique en France. La responsabilité de protéger les citoyens camerounais et les valeurs de la république du Cameroun n’incombent pas aux autorités françaises, mais au gouvernement camerounais.

Combien d’actes barbares ont été perpétrés en territoire camerounais, par des camerounais sans que le gouvernement ne puisse se prononcer, exprimer ses condoléances aux familles éprouvées ou encore mobiliser l’opinion publique nationale et/ou internationale contre ces actes. Souvenez-vous des meurtres en séries au quartier Mimboman à Yaoundé où les autorités non seulement n’ont jamais rendu public le résultat des enquêtes, mais plus grave ont abandonné les familles pleurer leurs morts. Plus récemment, un camion tuait une dizaine d’écoliers au quartier Biyemassi à Yaoundé, ni les ministres (transports, affaires sociales ......) n’ont trouvé utile de se rendre sur les lieux de l’accident. Au sein de la classe politique, seul Maurice Kamto du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) s’est déplacé sur le terrain afin d’apporter sa compassion aux familles durement éprouvées, dont certaines ont pris en charge elles-mêmes les soins des nombreux blessés. Des amis  pourraient être tentés de parler d’absence d’humanisme. Mais sur ce point nous pourrions y revenir à d’autres occasions.

Dans l’actualité, depuis plusieurs mois, la secte islamiste Boko Haram tue des innocents dans l’Extrême-Nord du Cameroun, pille des villages, enlève des femmes et des filles, viole des enfants. Plus grave, des dizaines de nos soldats meurent sur les champs de bataille. Quelle campagne de soutien et de protestation a été orchestrée par nos autorités ? Aucune. Des déplacements massifs sont en cours. Des familles désœuvrées abandonnent tout derrière elles. Ces migrations internes font courir sur le long terme de risques de conflits fonciers et des luttes identitaires au-delà du conflit actuel.

Dans ces pays, ce que nos « Charlie de la 25ème heure » (pour reprendre l’expression de Jean Bruno Tagne) refusent de dire c’est que dans la majorité des cas, les chefs d’Etat rendent un hommage national à ces vaillants soldats morts pour la défense des intérêts de la patrie ou de son intégrité territoriale. Voilà comment une nation peut honorer ces hommes, qui au prix de leur vie, laissant parfois derrière eux femmes et enfants, ont choisit de se sacrifier pour que nous puissions vivre dans un pays en sécurité. Paul Biya, 82 ans, 53 ans d’administration et 33 ans de magistrature suprême a-t-il entrepris une seule fois de se rendre  à l’Extrême-Nord pour encourager les troupes et revigorer le moral des populations comme l’a fait à plusieurs reprises Obama en Afghanistan ou Hollande au Mali et en République centrafricaine ? Non. Immobile, se cloîtrant dans ses palais de Mvomeka’a et Yaoundé sous haute protection de la Garde présidentielle (GP), il a préféré aller à Paris déclarer la guerre à mille lieux du champ de bataille. S’est-il au moins rendu une seule fois au quartier général pour honorer la mémoire de nos soldats morts pour la patrie ? Jamais. Dès lors, un gouvernement immobile, ne peut produire que des citoyens immobiles. Très émotifs et facilement enclins aux conclusions hâtives.
 
Si le gouvernement camerounais et ses concitoyens sont incapables de respecter les valeurs de la République et ceux qui la défendent, nous ne devons pas en vouloir à ceux qui savent le faire mieux que nous. Car ce qui doit être privilégié c’est le droit à la vie. Et personne n’a le droit d’arracher la vie à l’autre. Avant Charlie, aucune campagne de soutien à notre armée n’avait été initiée. Ce n’est pas avec Charlie que certains se découvriront subitement patriotes.

Une société immobile, c’est également une société qui perd toute capacité à défendre ses acquis. Des valeurs telles que la liberté d’expression qui étaient au cœur du combat de Charly Hebdo. Charlie Hebdo c’est  aussi  du « journalisme de combat ». Ca, ils sont peu à le savoir. 

Le 4 décembre 2014, le parlement camerounais, majoritaire contrôlé par le parti-Etat, dénommé Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), adoptait sans amendements, à la plus grande stupéfaction de l’opinion nationale et internationale, un projet de loi liberticide qui sous le manteau de la lutte contre le terrorisme, cache les desseins obscurs d’un système à l’agonie qui veut empêcher tout soulèvement populaire pouvant entrainer sa chute. Ces quelques semaines après la chute du régime de Blaise Compaoré et quelques jours après la mise en garde de François Hollande au sommet de l’Organisation internationale de la francophonie sur les dirigeants animés par le désir de mourir au pouvoir.

Au-delà des protestations louables et à encourager des partis politiques tels que le MRC, le MANIDEM et le CPP, des organisations de la société civile à l’instar de Dynamique citoyenne, de quelques universitaires et des avocats comme Me Assira Engouté, l’opinion publique nationale  est resté immobile. Certes la désaffection à l’égard du jeu politique fortement entretenue par le pouvoir en place peut offrir des pistes de compréhension d’une telle attitude. Cependant, l’individualisme méthodologique devrait permettre à chaque camerounais d’exercer pleinement sa citoyenneté dont l’un des pan essentiel est son droit de protéger  ses libertés. Car aucun gouvernement n’a le droit d’emprisonner et plus grave de condamner à la peine de mort un citoyen qui critique la gestion d’un conflit armé. Aucun citoyen ne doit se voir catégorisé de connivence avec l’ennemi parce qu’il appelle à des manifestations publiques. Nul ne mérite la peine de mort sous le prétexte d’une accusation d’atteinte à la sûreté de l’Etat qui peut être non fondée. La liberté d’expression ne se négocie pas en démocratie. Pourtant, le même projet, déposé sur la table des députés Kenyans, le même mois a été rejeté parce qu’il contenait des dispositions qui portaient atteinte aux libertés fondamentales.
 
Cet immobilisme qui a créé une tentative maladroite de récupération du mouvement « Je suis Charlie » a pour principal corolaire la banalisation de la vie dans l’espace public camerounais. C’est également à ce niveau qu’il faut appréhender l’activisme nouveau autour de l’armée camerounaise. Dans un environnement où un militaire peut tirer en boîte de nuit sur un citoyen et être promu le lendemain ; le fils d’un ministre ivre sur la route peut renverser son compatriote sans être poursuivi ; une femme enceinte peut mourir sur un lit d’hôpital avec son enfant dans le ventre ; il est tout à fait normal que certains ne puissent plus être ému par des atrocités. Car les faits de la vie, les horreurs qu’ils observent au quotidien leur ont fait perdre leur humanité.

Aujourd’hui au Cameroun, la vie d’un citoyen n’a pas d’intérêt. Peut-être pour sa seule famille et encore moins pour le gouvernement. Un gouvernement dont le seul objectif est de maintenir  son contrôle sur les sphères de la société, perpétuer sa domination et reproduire le système. La vie d’un citoyen lambda ne compte pas. La seule vie qui compte actuellement c’est celle de Paul Biya.

© Correspondance : Boris Bertolt (Journaliste-chercheur)

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