Polycarpe ABAH ABAH, La chute cocasse du fonctionnaire le plus puissant de la République
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L’ancien ministre de l’Economie et des Finances se croyait très puissant et invulnérable. Il est revenu de se illusions. Même au pays de Paul Biya, on ne badine pas avec l’Etat, ni avec celui qui l’incarne.

Ainsi donc, tout n’est que vanité sous les tropiques. Et personne ne peut jurer de rien. Surtout au pays de Paul Biya. Polycarpe Abah Abah était à un moment, l’un des ministres les plus puissants de la république. Par certains côté, il surclassait même Marafa Hamidou, ancien Secrétaire général de la Présidence de la république, ministre d'État, dix ans de suite ministre de l’intérieur. Les deux avaient un défaut en commun, ils se rêvaient un destin présidentiel, aux côtés des Atangana Mebara et autres urbain Olanguena. Comme par hasard aussi, les deux vont être vendus par le Président Bongo du Gabon, le jour de la seule fête nationale que le président camerounais a pu honorer.

Faiseur de Fortunes

Polycarpe Abah en était à s’étonner, avec surprise, qu’on ait pu concentrer autant de pouvoirs entre les mains d’un seul fonctionnaire, le directeur des impôts. il gérait l’ensemble des régies financières de la république, il dispensait les crédits de remboursement TVA et TCA, il avait la même mise sur la quasi-totalité des mouvements d’argent liquide en direction par exemple de la Camair ou du crédit foncier. Et il ne s’empêchait de céder à la tentation de piocher au passage, par exemple avec l’argent de la SGBC, frauduleusement barboté, alors que l'État du Cameroun avait officiellement décidé d’abandonner la créance sur la banque indélicate.

On connaît la suite de l’affaire. L’avocate française, Yen Eyoum Lydienne, s’est retrouvée en prison. Après avoir fait fifty-fifty avec monsieur le ministre qui avait créé nuitamment un compte spécial pour loger le milliard que l’avocate devait reverser à l’état. On disait qu’elle ne sera pas jugée sans Polcarpe Abah Abah, lequel était cité dans le dossier. Mais on a eu tout faux. L’avocate a été jugée et condamnée sans ses complices. Plus hallucinant encore, Abah Abah ne savait plus mettre les gants. il lui arrivait par exemple de corriger d’un coup de crayon, dans le secret de son bureau de directeur des impôts, une loi de finances votée par les 180 députés de l’Assemblée nationale et promulguée par le Président de la république.

Spécifiquement en 2004, au moment où la communauté urbaine de Douala avec Etonde Ekoto lançait son emprunt obligataire auprès de la DSX. Cette année-là, la loi avait prévu que 50 % des centimes additionnels communaux seraient reversés à la communauté urbaine. Abah Abah a rectifié la répartition et a décidé que la ville n’aura droit qu’à 15 %. Du coup, l’emprunt obligataire, qui était essentiellement adossé sur ces centimes additionnels est devenu branlant sur son édifice. Avec une telle toute-puissance, l’homme s’était découvert une vocation de faiseur de fortunés. Avec l’arme du crédit de remboursement des crédits TVA, il enrichissait tous ses petits copains, des hommes d’affaires à la tête d’entreprises qui n’étaient aucunement éligibles à ces remboursements.

C’était ses amis, ils n’avaient même pas besoin de constituer un dossier. Une simple demande manuscrite suffisait, et on recevait le chèque de plusieurs centaines de millions. Conscient de l’importance que pouvait revêtir le compte TVA, Abah Abah va le soustraire de la tutelle de la Direction des impôts pour le gérer à partir du ministère de l’économie et des finances… Les entreprises du Groupe Fotso étaient abonnées à ce guichet des crédits TVA. Et le Groupe Fotso, avec sa banque, ne se contentait pas d’aussi peu. Les comptes bancaires de la Directions des impôts étaient pour l’essentiel logés à la cBc qui avait ainsi de la ressource pour ne jamais être à court de liquidités. Ce dossier-là, on ne l’ouvrira pas.

Pas plus qu’on ouvrira le dossier des fêtes foraines de paiement de la dette intérieure aux entreprises locales. Depuis que le ministre Abah Abah n’est plus aux affaires, on ne voit plus paraître ces pleines pages de listes d’entreprises dont les créances sur l’état venaient d’être réglées, comme par magie. Alors eu les entrepreneurs avaient achevé de se ruiner auprès des usuriers à force d’attendre un paiement qui aura mis cinq ou dix ans à arriver. Personne ne sait alors que ce paiement inattendu des tranches de la dette intérieure était une astuce de la galaxie Abah Abah pour  enrichir des amis. Et s’enrichir soi-même. Mais on n’est pas dans le détournement de fonds publics, bien que l’astuce, expérimentée aussi au Gabon, s’apparente à un odieux délit d’initié.

Délit de toute-puissance

Si le pouvoir corrompt et que le pouvoir absolu corrompt absolument, la toute-puissance rend fou. Abah Abah était devenu parano. Pour réduire les journalistes qui avaient le toupet de ne pas venir prendre leur ticket d’entrée dans la polycarpie (la galaxie des journalistes louangeurs), il sévissait de quelques méchants redressements fiscaux. Vingt, trente ou 40 millions, tout à l’avenant et à la tête du client. Contre des journalistes, qui ne savent souvent pas la couleur de leur prochaine pitance. La paranoïa avant atteint des sommets. Sans oublier les procès interminables pour lesquels il constituait de fringants avocats payés à grands frais d’honoraires sur les deniers de l'État, donc sur le dos du contribuable. Les mêmes avocats commis pour sa défense, ont été incapable de lui sauver la mise devant le tribunal criminel Spécial.

En 2003 déjà, son épouse caroline Abah, poursuivie dans le cadre du scandale financier au ministère des Postes (mountchipougate), avait été condamnée à payer une amende de près de deux milliards et demi. Prenant la défense de son épouse, Polycarpe Abah aurait payé pour qu’on laisse sa moitié tranquille. Notre était tellement puissant, qu’il n’aurait jamais laissé son épouse être inquiétée alors qu’il avait de la ressources pour payer amendes, dépens, dommages et intérêts. Il aurait donc remboursé les milliards. Mais cette fois, pour  lui-même, il ne pourra pas rembourser. Même si par extraordinaire, il réussissait à réunir les 7 milliards destinés au crédit foncier et pour lesquels il a été condamné à 25 ans de prison, la loi remboursement contre abandon des poursuites ne marchera pas pour lui. Lui, il est le prisonnier personnel de Paul Biya.

Prisonnier Personnel de Paul Biya

A sa sortie du gouvernement et alors que les bruits les plus fous couraient sur sa prochaine arrestation, l’ex-ministre de l'économie et des finances se voulait plutôt rassurant, très sûr de lui. En privé, il confiait deux versions. La première, Paul Biya n’était pas exactement décidé à se passer de ses talents de technocrate. La preuve, on continuait à le faire venir à la Présidence de la république pour consultations professionnelles. C’est par exemple lui qui va préparer la dernière augmentation des salaires dans la fonction publique. L’excuse trouvée était que son successeur aux finances, mais en tant que ministre des finances et du Budget, Meva’a Meboutou, n’était pas très doué en calculs arithmétiques. La tâche va donc être confiée à Polycarpe Abah.

La deuxième version servie par l’homme était plus redoutable encore. Il était sûr que, même dans le cas extraordinaire et donc improbable où il serait mis aux arrêts, on ne l’entendra jamais à l’occasion d’une audience. Auquel cas, il mettra le feu à la république. Il semble qu’il détenait par devers lui les preuves irréfutables qu’il avait remonté une partie de l’argent volé à certaines personnes dans de la famille du président lui-même. Et il citait des noms… ces sorties s’apparentaient à des attentats contre l’intégrité du Prince. Ceux qui l’ont pris au sérieux commençaient à penser que, face à un tel risque concret, il serait urgent de lui organiser un « accident de circulation », qui sera en fait un assassinat maquillé. Mais, se ravisant, les effaceurs de la république ne lui organiseront pas un accident de circulation. Spectaculaire pour rien.

On lui a organisé à la place un accident de circulation d’un autre genre. Sorti comme à son habitude prendre de l’air, comme à son habitude, en compagnie de ses garde-prisonniers attitrés, il s’excuse une minute pour faire un tour chez lui. Les garde-prisonniers sont d’accord, et d’abord, ils l’ont toujours été. Mais ce soir-là, ce sont les mêmes gardes qui donnent l’alerte pour prévenir que leur client se serait échappé… Polycarpe Abah Abah est donc repris illico et jugé en procédure d’urgence dès le lendemain. Il écopera de six ans de prison pour « tentative d’évasion aggravée ». On ne sait toujours pas si c’est l’évasion qui était aggravée ou la tentative. Mais pour une fois, la justice camerounaise a été expéditive. Les six ans donneraient le temps aux magistrats de souffler. Le temps de trouver un dossier imparable qui n’éclabousserait pas la Patron. On n’a pas long à chercher.

Avec les casseroles que traînait le ministre de l'économie et des finances, il n’y en avait à tous les coins de rue. il suffisait de se courber pour en ramasser une pleine corbeille. Le dossier qu’on a trouvé, celui de l’argent du crédit foncier, avec des témoins qui sont déjà passés aux aveux, est simplement imparable : l’ex ministre avait, du temps où il était directeur des impôts, distrait des fonds normalement destinés à la Banque de l’immobilier au compte de laquelle tous les travailleurs camerounais sont tenus de cotiser chaque mois. En cassation à la cour suprême, où les avocats de l'ex ministre ont introduit un appel, la sentence sera confirmée. Si les juges ne décident pas de saler l’addition au ministre le plus puissant sous Paul Biya.

© L'Equation : David Serge BEHEL

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