Lettre ouverte à l’opposition camerounaise : Préparez la transition ou mourrez politiquement sans elle
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Lettre ouverte à l’opposition camerounaise : Préparez la transition ou mourrez politiquement sans elle :: CAMEROON

Mesdames et messieurs les leaders de l’opposition camerounaise, il y a bien longtemps que les analystes, dont moi, vous caressent dans le sens du poil en reconnaissant que vous évoluez dans un environnement extrêmement répressif où le premier sous-préfet venu peut interdire vos assemblées, de la plus grande à la plus insignifiante, où le dernier des commissaires de police ou commandant de gendarmerie peut vous embastiller sous des prétextes les uns plus grotesques que les autres. C’est vrai que vous vous débrouillez sous la férule de l’une des dictatures les plus vicieuses et pernicieuses du continent. Mais après avoir reconnu cette entrave sérieuse à votre épanouissement politique, il faut absolument bousculer votre quotidien en vous criant la vérité suivante :

vos actions et réactions vis-à-vis du pouvoir de monsieur Biya sont faibles, risibles, puériles, et, en définitive, n’ont aucun avenir. Pourquoi ? Eh bien parce que vous n’avez pas pris le temps de faire une évaluation sans complaisances de vos échecs successifs depuis l’an de grâce 1992, ce qui vous aurait permis de comprendre vos multiples erreurs et de corriger le tir. Faut-il vous le rappeler que cette année là, les électeurs camerounais avaient alors majoritairement voté pour John Fru Ndi qui défendît sa fameuse « victoire volée » en se terrant à Ntarikon peureusement et en appelant ses supporteurs au calme ? Si les leaders burkinabés s’étaient terrés chez eux et avaient appelé leurs supporteurs au calme, monsieur Blaise Compaoré serait encore luxueusement logé au palais de Kossyam à Ouagadougou. Ce détour par le Burkina Faso conduit tout droit à l’objet de cette lettre : la transition au Cameroun.

Pour commencer, vous voici avertis : il n’y aura pas de transition au Cameroun si vous ne la préparez et ne la précipitez au moment opportun. Pour être clair : une transition politique n’est pas le simple changement de chef au sommet de l’État ; c’est un changement d’équipe de gouvernement, l’éviction d’un groupe politique X au pouvoir et son remplacement par un groupe politique Y de l’opposition. Le remplacement de Paul Biya par Mebe Ngo’o, Akame Foumou ou Frank Biya ne correspondrait donc pas à une transition politique.

Ce serait malheureusement un simple changement dans la continuité, comme ce fut le cas en 1982. C’est le remplacement de Paul Biya par Joshua Osi, Ndam Adamou Ndam Njoya, Ekane Anicet, Yondo Black ou Maurice Kamto qui correspondrait à une transition politique. Toujours pour plus de clarté, je vous rappelle, si vous ne l’avez pas encore réalisé, que vous avez abandonné le combat contre le régime de Paul Biya tant que ce dernier est au pouvoir : vous savez très bien que ce ne sont pas vos incantations dans les radios et télévisions privées qui le feront partir. Sans être votre porte-parole, le ministre Amadou Ali l’a dit, pour toute la classe politique camerounaise, dans ses confidences à Janet Garvey, l’ancienne ambassadrice américaine au Cameroun : tant que Biya est là le grand nord se calme ; mais après lui, on sort les couteaux.

Il est clair pour lui, comme pour vous qui vous laissez brimer par des sous-préfets, que c’est donc dans l’après-Biya que la transition se fera ou ne se fera pas. Pour ne pas revivre l’escroquerie de 1982 qui n’était rien d’autre que le changement d’homme dans la continuité du système postcolonial de paupérisation de nos concitoyens, pour qu’il y ait transition, pour que vous ayez l’opportunité de montrer au Camerounais ce que vous pouvez faire en tant que gouvernants pour donner au pays une chance de progrès, vous devez dès ce début de 2015 préparer la transition.

Si vous ne la préparez pas activement et méthodiquement, je vous assure que vous serez les spectateurs d’une course au pouvoir entre les membres du RDPC et il ne vous restera que vos slogans de depuis 1992 à verser dans les oreilles fatiguées des Camerounais. Pour qu’il y ait transition au terme de la vie politique de Paul Biya, je vous suggère vivement les chantiers préparatifs suivants, une liste de travaux à réaliser absolument ; s’il y en a que vous avez déjà engagé, il est temps de les renforcer:

  1. Nouer des relations d’amitié, sinon de familiarité, avec les forces de sécurité et de justice. Dans toute la chaine judiciaire et de l'Administration Territoriale, il faut développer des relations. Il y a une forte probabilité que les fonctionnaires de ces départements ministériels, les policiers et les gendarmes vous suivent, et ce pour trois raisons : (a) ce sont des êtres rationnels qui ont bien l’intention de survivre Paul Biya et qui par conséquent n’hésiteront pas à se mettre de votre coté le moment venu, si après calcul ils arrivent à la conclusion que c’est votre coté qui va assurer leur gari ; (b) policiers et gendarmes sont des Camerounais qui ont aussi à cœur de voir le pays mieux gouverné. Leur patriotisme n’est pas à remettre en cause, c’est le système qui a atomisé l’élan patriotique de beaucoup d’ente eux. (c) Ces Camerounais en uniforme sont après tout nos frères et sœurs, leur rappeler la fraternité qui nous uni et notre communauté de destin aura pour effet d’éliminer ou de réduire la brutalité dans l’application des ordres qu’ils recevront. La transition vous filera entre les doigts si vous continuez à traiter les forces de sécurité en ennemis. Faites-en des alliés ! Il y en a parmi eux des gens qui n’attendent que l’occasion de se désolidariser des pratiques du régime de monsieur Biya et de le laisser tomber comme une mangue pourrie. A vous de les identifier. Sans la désolidarisation de certains membres des forces de sécurité burkinabé, la Révolution aurait échouée. Leçon de choses !
  2. Formuler une communication au laser : vous devez avoir des messages ciblés qui répondent aux attentes de couchent particulières précises. Pour les besoins de la cause (transition) les couches prioritaires doivent être les « foot soldiers », ces populations qui ont un fort potentiel d’activisme le moment venu. L’objectif ici est de garder les Camerounais en etat de veille, mobilises dans leur esprit. Il s’agit de préparer les esprits à l’avènement de la transition. Puisque vous avez au moins le luxe de participer aux débats radiophoniques et télévisuels, vous devez mettre à profit chacun de vos passages sur les ondes pour dire aux Camerounais ce que vous allez faire. À la télé comme à la radio, il va falloir trouver les mots justes pour parler directement aux policiers et gendarmes, des mots qui non seulement touchent leur affect, mais qui promettent aussi de meilleurs jours à leurs corporations, comme à tout le pays.
  3. Transformer les modérés du RDPC en réformateurs. Tous les cadres de ce parti ne sont pas pourris ; s’ils le sont tous, les degrés de putréfaction varient : certains sont moins infectés que d’autres. Trouvez-les ! Ils comprendront qu’ils ont intérêts à collaborer avec vous, le moment venu, pour assurer leur survie politique, et peut-être existentielle. La logique de cette collaboration potentielle est simple : quand le bateau commence à couler, les rats sautent. C’est une question de costs & benefits analysis, rationnelle donc. Ceux d’entre eux qui ne l’auront pas compris, ou qui sont trop mouillés dans les salissures du régime de monsieur Biya, couleront, apocalyptiquement. L’exemple burkinabé qui s’est déroulé sous nos yeux est un cas d’école en la matière : la démission en vrac des cadres du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) de Blaise Compaoré et leur alliance avec les ténors de l’opposition ont créé les conditions de l’alternance. Vous ne devez donc pas continuer à traiter tous les Rdpécistes d’agents irrécupérables du néocolonialisme ; il faut plutôt penser à ouvrir les portes du futur institutionnel du Cameroun à certains d’entre eux.
  4.  Courtiser les chefs des missions diplomatiques et autres agents internationaux : le genre de bourde commise par le député du MRC qui a solennellement accusé la France, du haut de la tribune de l’Assemblée nationale, est totalement contre-productif.  Les agents du système international doivent être rassurés et vous voir comme une alternative crédible, des gens avec qui ils peuvent travailler. Il faut absolument baisser le niveau de leurs incertitudes à votre égard. Vous savez bien de quoi ils sont capables pour la réussite ou l’échec des mouvements politiques. Toutes vos cartes ne doivent pas être abattues publiquement, à contre temps. Learn to play the game. Au serpent qu’on veut frapper, on ne montre pas le bâton.
  5. Utiliser les ressources de la diaspora. Il est certain que la plupart des Camerounais de l’extérieur, surtout ceux qui vivent dans les pays dits démocratiques, ont soif de transition politique dans leur pays. Ils ont les ressources financières et intellectuelles qu’ils ne demandent qu’à mettre a votre disposition, à condition qu’ils lisent engagement et sérieux dans vos intentions. De plus, certains d’entre eux ont leurs entrées dans les états-majors des partis au pouvoir dans leurs pays d’accueil et dans les institutions internationales; leurs carnets d’adresse peuvent servir de relai auprès d’éléments clés du système international dont vous aurez besoin.
  6. Enfin, la préparation de la transition exige de vous la formation de coalitions avec des plans A et B. L’isolement est un prérequis de l’échec ! L’action isolée d’un seul parti de l’opposition ne déclenchera et ne réussira pas la transition. Et celle-ci ne doit pas être l’apanage des seuls partis politiques. Le cas d’école burkinabé est révélateur sur ce chapitre : le « Mouvement Balai citoyen » de la société civile et été au front, en coordination avec les partis politiques pour déboulonner Compaoré. Et son fer de lance était la JEUNESSE. La coordination camerounaise, des partis politiques et des associations de la société civile, pour la transition doit se faire avec les jeunes citoyens camerounais dont le futur est plus que compromis ; elle doit avoir des agents identifiés et aux rôles définis qui savent quoi faire, quand, et dans quelles circonstances, en fonction des plan A et B. Au demeurant, n’attendez pas toujours que les évènements se créent, vous pouvez les créer ; cela fait partie des plans évoqués ici.

Vous avez, par experience, qu’il y aura infiltration des agents du régime de monsieur Biya dans vos rangs ; en dictature, les services de renseignement servent surtout à traquer et déstabiliser l’opposition. Préparez-vous en conséquence ! Pour des raisons évidentes, il serait maladroit d’aborder, dans le contexte d’une tribune publique, le développement de plans tactiques. C’est en mode off donc que cette partie de la conversation va se faire, loin des radars du régime de monsieur Biya. Je termine cette interpellation publique par où je l’ai commencée, par ce qui peut ressembler à un leitmotiv : si vous ne préparez pas activement et méthodiquement la transition, elle n’aura pas lieu.  Et dans ce cas, il ne vous restera plus qu’à vous, et aux lettrés qui vous accompagnent, à encaisser les coups, les blessures, les embastillements, verser des larmes, occuper presqu’inutilement la scène publique et encombrer les oreilles du public attentif camerounais avec les mêmes slogans et invectives sans lendemains : le complot aujoulatiste, le vacancier en Suisse, les milliards en fumée, les élections truquées, le sous-préfet, le commissaire, le tribunal répressif, etc. À vos marques donc et que nos ancêtres bénissent le Cameroun !

Lembe Tiky, Enseignant de sciences politiques, University of Connecticut, USA

© Correspondance de : Lembe Tiky

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