Lutte contre Boko Haram : stopper la radicalisation
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Le 22 décembre 2014, l’un des camps d’instruction du groupe islamiste Boko Haram a été démantelé au nord du Cameroun, dans la localité de Guirvidig, où la secte recrutait des enfants âgés de 7 à 12 ans pour leur apprendre l'islamisme radical et le djihadisme. Le spectacle est intenable. Pendant que les uns meurent, d’autres se font recruter même volontairement. Le 28 décembre 2014, c’est plus d’un millier de jeunes radicalisés qui ont accompagné la secte islamique dans l’envahissement du camp militaire camerounais d'Achigachia et le hissage de leur drapeau dans la localité. Les seules stratégies militaire et judiciaire sont-elles suffisantes pour lutter de façon efficace et efficiente contre Boko Haram ?

Si l’objectif politique est d’éradiquer Boko Haram et si l’objectif opérationnel est de limiter les dégâts surtout en ce qui concerne les pertes en vies humaines, alors ne faudrait-il pas envisager d’autres solutions qui intègrent un modèle de causalité (relation cause-effet)? Doit-on uniquement répondre à la violence par la violence au lieu d’œuvrer aussi à stopper la radicalisation et l’enrôlement des jeunes ?

La prévention de la radicalisation des citoyens ou leur dé-radicalisation passe par la lutte contre l'exclusion économique (chômage et pauvreté), l’'injustice sociale (inégalités, prédation des gouvernements) et l'exclusion politique (absence de démocratie et déficit des libertés).

Sur le plan politique, il faut noter que la radicalisation et l’instrumentalisation religieuse sont souvent un prétexte pour arriver au pouvoir. En matière de décentralisation, l’État devrait donc accélérer le transfert des compétences et des ressources afin de permettre aux populations locales et aux élites de dépendre moins de l’État central qui a longtemps délaissé l’arrière-pays. Il faudrait plus de transparence, de participation et de représentation des populations aux prises de décisions les concernant. Il faudrait surtout redéfinir le sens de la justice sociale, dans le sens de plus d’autonomisation, et lutter contre les frustrations internes pour prévenir de façon durable la révolte. Jusqu’ici, la justice sociale au Cameroun a consisté en la redistribution au niveau central des postes politico-administratifs (équilibre régional qui fabrique des élites prédatrices et crée la mauvaise gouvernance) et non en la redistribution équitable des richesses du pays (péréquation financière). Aussi, la promotion de la culture de tolérance (ethnique, religieuse, politique, etc.) et d’intégration des minorités est incontournable.

Sur le plan économique, il faudrait mettre sur pied une stratégie de développement par le bas où le principal acteur est l’entrepreneur. Pour ce faire, l’État devrait être un facilitateur et un protecteur des droits de propriété pour permettre l’expression des initiatives privées et des talents individuels. Les questions du foncier, des investisseurs étrangers (allogènes) ou de sécurisation des biens et services devraient être résolues pour attirer les investissements dans ces zones délaissées. Les questions de transport et des voies de communication devraient être aussi à l’ordre du jour pour assurer l’écoulement des produits et la liaison de ces zones reculées. L’approche devrait être inclusive pour éviter l’exclusion économique qui conduit aussi à la radicalisation.

Sur le plan social, la réduction des inégalités et la lutte contre la stigmatisation sont nécessaires pour freiner la radicalisation. Au lieu de réserver la peine de mort aux citoyens qui pensent et agissent différemment (citoyens radicalisés), il convient d’éradiquer « l’esprit Boko Haram » par l’éducation. C’est une opération mentale qu’il faudrait faire sur la représentation du monde des populations vulnérables. Le 28 décembre 2014, le porte-parole du gouvernement parlait d’une « escouade formée de mille personnes environ (qui) a donné l’assaut sur le camp d’Achigachia (…) » contraignant l’aviation militaire à entrer dans ce conflit. Cela constitue une « nouvelle gradation » du conflit qui risque d’être très meurtrier. L’action sur la tolérance et/ou la modération religieuse concerne le développement d’une nouvelle conception de l’Islam. Cela passe par l’ouverture d’un débat religieux serein, la re-formation des imams, la promotion d’une conception religieuse proche des besoins de modernité des populations.

La lutte contre la radicalisation devrait reposer sur un vaste programme de communication et de renforcement des capacités. En effet, si une épidémie est déclarée dans une région du pays alors, il convient d’œuvrer pour stopper son extension au lieu de se contenter de la poursuite des présumés coupables. En l’état, on lutte uniquement contre les sujets (islamistes et leurs soutiens internes et externes) sans lutter contre l’objet (radicalisation). En clair, si l’on stoppe l’épidémie de la radicalisation, alors on stoppe de façon efficace et efficiente l’action du sujet (Boko Haram) en le mettant en échec.

Pour ce faire, le gouvernement devrait de façon concomitante aux opérations militaires, renforcer les capacités des leaders locaux (société civile qui sympathise avec Boko Haram) sur les relations entre la modernité, le religieux, le séculier et le coutumier. De plus, il faudrait améliorer les connaissances des populations non pas seulement sur le renseignement militaire mais aussi et surtout sur les notions de république, démocratie, laïcité, liberté, égalité, droits de l’homme, État de droit, souveraineté, pouvoir, etc. Il faudrait clairement définir le sens de l’ennemi de la république qui est instrumentalisé de nos jours. Les amalgames sur ces notions sont sources de conflits.

Pour finir, nous disons que la radicalisation est un cercle vicieux et un cycle infernal qu’il faut stopper pour préserver la dignité humaine. En l’état, le gouvernement camerounais s'attaque au symptôme (violence) et non à la cause (radicalisation). Seules les mesures répressives sont actuellement utilisées. Force est de constater que cela ne suffit pas à stopper la radicalisation et l’enrôlement de nouveaux jeunes désœuvrés. Il faudrait donc intégrer non seulement des mesures préventives, mais aussi et surtout des mesures correctives.

© Correspondance de : Louis-Marie KAKDEU

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